La diversification touristique en montagne : un concept qui suscite à la fois l’enthousiasme et l’interrogation. Alors que de nombreuses destinations de montagne cherchent à élargir leur offre pour attirer de nouveaux visiteurs et garantir une croissance économique durable, se pose la question de savoir si cette diversification est véritablement un enjeu stratégique ou simplement un terme à la mode.

Sur ce sujet où l’on pouvait s’attendre à un débat assez animé avec des points de vue opposés, les Pyrénées ont montré, à l’occasion des rencontres des stations de montagne pyrénéennes et de leurs partenaires organisées le 1er juin à Saint-Lary par l’Agence des Pyrénées, un certain modus vivendi.

L’histoire du tourisme pyrénéen : un éclairage essentiel pour décrypter le présent

Se référer à l’histoire est essentiel pour comprendre comment les événements passés ont façonné le présent. Les Pyrénées, cette chaîne montagneuse qui traverse la France, l’Espagne et l’Andorre, ont connu une évolution remarquable de leurs activités touristiques au fil du temps. Initialement réputées pour leurs sources thermales et leur climat bénéfique, les Pyrénées ont progressivement diversifié leur offre touristique pour répondre aux besoins changeants des voyageurs.

Le thermalisme et le climatisme : les précurseurs

Les Pyrénées ont longtemps été prisées pour leurs eaux thermales et leurs climats favorables à la santé. A l’époque romaine, les Pyrénées étaient déjà connues pour leurs sources chaudes et leurs propriétés curatives. Les Romains ont construit des bains thermaux et des installations autour de ces sources pour les utiliser à des fins thérapeutiques.

Au cours de la Renaissance, les sources thermales des Pyrénées ont commencé à attirer des visiteurs en quête de bien-être et de guérison. Au XVIIe siècle, plusieurs villes thermales des Pyrénées, telles que Bagnères-de-Luchon, Cauterets et Barèges, ont commencé à se développer et à accueillir des visiteurs venant de toute l’Europe. Ces villes ont construit des établissements thermaux, des hôtels et des infrastructures pour répondre à la demande croissante.

Cauterets : station de montagne Ski et Thermalisme

Le XIXe siècle a été une période de véritable essor pour le thermalisme dans les Pyrénées. Le développement des transports, notamment des chemins de fer, a facilité l’accès aux villes thermales. De plus, la découverte des bienfaits du climat de montagne a donné naissance au climatisme, une pratique qui consiste à se soigner en profitant de l’air pur et des conditions climatiques spécifiques des montagnes. En 1806, se crée la Société des Eaux Minérales de Barèges, qui a contribué à promouvoir les vertus curatives des sources thermales de la région. Un peu plus tard, en 1825, le premier établissement thermal de Bagnères-de-Luchon est ouvert. Viendra ensuite l’inauguration des thermes de Cauterets en 1852, puis la construction du Casino de Bagnères-de-Bigorre pour divertir les visiteurs des thermes en 1868. La Société des Eaux Minérales de Cauterets pour gérer les installations thermales de la ville est créée en 1873. 

L’émergence du tourisme hivernal et l’essor du ski

Le développement des sports d’hiver, et plus précisément du ski, a marqué un tournant majeur dans les politiques touristiques des Pyrénées. La première remontée mécanique des Pyrénées est ouverte à Artouste en 1907. Les années 1920-1930 accompagnent la création des stations de Cauterets et Saint-Lary. Entre 1950 et 1960, de nombreuses stations pyrénéennes voient le jour : Luchon-Superbagnères, Peyresourde et Les Agudes, Ax 3 Domaines, Font-Romeu, La Mongie, etc.

Domaine skiable de La Mongie

Aujourd’hui, ce sont 39 stations de ski pyrénéennes qui font partie du paysage pyrénéen, et une économie du ski qui est le moteur de l’activité touristique de nombreux territoires.

Le poids du ski dans les territoires pyrénéens

À l’occasion des rencontres des stations de montagne pyrénéennes et de leurs partenaires organisées le 1er juin à Saint-Lary par l’Agence des Pyrénées, de nombreux acteurs publics et privés ont apporté leur point de vue sur l’évolution de la montagne pyrénéenne.

Jérome Meunier, Directeur de la station des Angles, revient sur le poids de l’activité Ski sur son territoire : « le ski dans sa globalité pèse quasiment 60 millions d’euros sur notre territoire, dont 11 millions d’euros pour les remontées mécaniques. Malgré toute notre offre estivale (parc animalier, activités sur le Lac de Matemale, centre thermoludique Angléo, luge…) l’été ne pèse que 8,5millions d’euros ».

De son côté, Anne Marty, Directrice Générale Adjointe du groupe Altiservice et Présidente Déléguée de Domaines Skiables de France rappelle que le ski est le moteur économique des territoires de montagne et que le financement de la diversification passe par le ski et son soutien. Elle s’interroge notamment sur le modèle économique actuel des stations : “Le ski reste, je le dis souvent et c’est peu élégant, le robinet. Aujourd’hui, nous avons du mal à trouver des modèles économiques durables parce que le ski repose uniquement sur les exploitants de domaines skiables qui collectent uniquement les revenus du ski. Lorsque l’on sait qu’un euro dépensé dans les remontées mécaniques génèrent 6 euros sur le territoire, c’est un vrai sujet pour les exploitants et leur équilibre économique.».

« Ne pas opposer Ski et Diversification touristique »

Pour faire face à la concurrence et attirer de nouveaux publics, les Pyrénées ont mis en place, depuis plusieurs décennies, des politiques visant à diversifier leur offre touristique.

“Dans le cas particulier de la station des Angles, nous avons d’abord cru en notre territoire situé à 1600m d’altitude, et en nos hommes. Il y a une trentaine d’années, un monsieur est venu annoncer qu’il souhaitait créer un parc animalier. Tout le monde lui a dit qu’il était fou. Aujourd’hui, nous le parc animalier des Angles enregistre près de 60.000 visiteurs par an. La diversification fonctionne à partir du moment où toutes les entités sont fédérées autour d’un projet commun. Alors depuis 60 ans que la station existe, comment peut-on parler de diversification sur les Angles ? Avec des chiffres : 15.000 lits touristiques, et près de 1000 personnes qui vivent à l’année de façon quasiment constante”, précise Jérôme Meunier.

Les Angles : centre thermoludique Angléo

Les activités de plein air telles que la randonnée, le VTT, l’escalade et le parapente ont gagné en popularité. De plus, le développement du cyclotourisme et du tourisme de bien-être a également été encouragé. Des initiatives de préservation et de restauration des sites historiques, des villages pittoresques et des traditions locales ont été mises en œuvre pour offrir aux visiteurs une expérience immersive et authentique. Les festivals, les marchés traditionnels et les événements culturels sont devenus des attractions phares pour les touristes.

Pour Jérôme Meunier, la diversification repose sur un certain nombre de pré-requis, à savoir une capacité d’hébergement suffisamment importante, des services, et la maitrise d’une chaine de valeur plus vaste que le seul domaine skiable. Cela suppose donc d’encourager toutes les initiatives entrepreneuriales nouvelles.

Michel Durrieu, Conseiller Régional Nouvelle-Aquitaine et CEO Huttopia International revient sur le fait que le changement climatique appelle non seulement à une évolution mais aussi à une transformation du développement touristique pyrénéen dont la clé de réussite est de penser une expérience client, hors infrastructures de loisirs qui donne envie aux visiteurs ou aux touristes de rester. “Cette diversification, nous l’avons déjà faite et elle existe déjà. Lorsque vous allez dans la vallée du Louron et à Balnéa ou dans la vallée d’Aure et à Sensoria ou pour se balader dans les rues, nos stations ont déjà beaucoup changé aussi bien l’hiver que l’été. Il est très important de ne pas opposer ski et diversification touristique.

Camping Huttopia sur Font Romeu

Nous avons développé un complexe Huttopia à Font Romeu, nous avons repris l’Auberge de Piau, et nous avons actuellement un tout nouveau projet à La Barthe de Neste. Si Huttopia va dans les Pyrénées, c’est qu’il y a quelque chose. Nous avons plusieurs sites dans les montagnes du monde, et nous constatons qu’il y a moins de neige. Nous vivons une transformation et non pas une évolution. Chez Huttopia, nous essayons de nous y intégrer et d’adapter notre offre ».

Créer des camps de base et réfléchir « 2 heures à la ronde »

L’Organisation Mondiale du Tourisme considère aujourd’hui qu’une destination touristique, ce sont 50 km, et qu’un touriste est capable de faire jusqu’à 2 heures pour aller voir un pont d’intérêt.

Michel Durrieu revient sur la station comme éventuel camp de base pour rayonner sur un territoire plus large, sous réserve de la présence d’hébergements de qualité et de services l’été : “Dans la diversification, il faut être en capacité à regarder ce qu’il y a autour, bien au delà du territoire d’une station. Huttopia essaie de s’intégrer dans le territoire au sens large. Lorsque nous commercialisons l’Auberge de Piau, nous parlons bien entendu de Saint-Lary mais aussi d’Ainsa, du Pic du Midi, de Balnéa… Notre client ne va pas rester à Piau. C’est la notion de camp de base. Aujourd’hui, Huttopia envisage d’implanter un camping à Labarthe de Neste en guise de “camp de base”. Qui, a priori, irait mettre une capacité d’accueil à La Barthe de Neste ? Si vous regardez la carte et vous cherchez le milieu des Pyrénées, vous vous retrouvez à La Barthe de Neste, à la sortie de l’autoroute A64. Le camp de base est un point de départ et on y revient, il faut donc qu’il soit accessible.  Il faut générer l’envie d’aller dans les Pyrénées, y dormir et pas uniquement pour y passer la journée. Nous devons identifier les parcours touristiques et surtout arrêter de penser que les touristes sont des super hyper actifs ! » explique Michel Durrieu.

Pic du Midi de Bigorre

Pierre Torrente, Directeur du campus des métiers du tourisme pyrénéen, partage également son point de vue : “Lorsque j’observe les stations de sports d’hiver, il faut reconnaître qu’elles ont une pression énorme. Quand certains directeurs de station me posent la question sur l’avenir, je leur répond : si tu veux sauver ta station, aide un agriculteur à s’installer parce que tu vas lui donner d’autres sources de revenus ».

« Aujourd’hui, la principale difficulté d’une station de ski est qu’elle a été pensée à son origine comme un modèle urbain, et transposé dans un espace montagnard ».  

L’exemple de la politique des pôles touristiques dans les Hautes-Pyrénées

Avec 1 milliard d’euros de dépenses touristiques, le tourisme est la première ressource économique des Hautes-Pyrénées. En 2016, pas moins de 34 % des revenus du territoire provenaient de l’activité touristique, soit trois fois plus que la moyenne des départements français.

Isabelle Pelieu souligne la nécessité de penser l’offre et le positionnement des stations dans des polarités touristiques plus larges qui sont celles de destinations comme le fait de penser le tourisme au delà des activités de loisirs.

La diversification, bien au delà des stations

Revoir les échelles de grandeur

S’il ne faut pas opposer le ski et la diversification touristique, il ne faut pas non plus se cantonner à l’échelle d’une station. Au même titre qu’un point de vue change selon où l’on se situe en montagne, le point de vue de la diversification évolue en fonction du territoire et de la vision du client.

“Notre modèle de diversification à l’échelle des Angles est porté par le village des Angles mais aussi à l’échelle d’un territoire. La diversification que nous avons apportée s’est répercutée sur l’ensemble des villages alentours. Il y a une véritable complémentarité à l’échelle du territoire”, témoigne Jérôme Meunier.

Isabelle Pelieu partage quant à elle sa vision du point de vue des attentes des clients : « Dans les stations de ski pyrénéennes, nous observons 2 typologies de clients : d’un côté les skieurs qui choisissent leur destination par rapport à des critères de choix très liés à la pratique du ski, les équipements du domaine skiable, la qualité de neige, etc.

Vallée du Louron dans les Hautes-Pyrénées

Et puis il y a les vacanciers au ski, qui viennent pour le ski mais dont les critères d’évaluation de la destination ne sont pas tout à fait les mêmes, peut-être moins centrées sur le domaine skiable. Ils tiennent compte également de l’après ski, des activités pour les accompagnants, de la qualité de l’hébergement et de l’attractivité du décor. Ces points-là sont importants pour cette typologie de clients.

En hiver, les clients qu’ils soient « vacanciers au ski » ou « skieurs », sont très centrés sur la station, et ne bougent pas beaucoup.

L’été la typologie des clients n’est plus la même, car elle est moins en lien avec la station. Elle gravite davantage autour des grands sites, et là évidemment le poids de la station de ski est moins évident. Le marché de la montagne en été a un très gros potentiel à fournir à une clientèle qui est plus de plus en plus à la découverte de pratiques sportives : on l’appelle le marché du grand tourisme.

L’entrée doit donc se faire autour des grands sites, des vallées. Les clients cherchent un camp de base avec une zone d’exploration qui est beaucoup plus large. Le positionnement de la station de ski dans ce cas-là est différent.

La diversification oui, mais pas au détriment du ski, et à l’échelle d’un territoire ».

Vers des investissements publics et privés ?

Les politiques touristiques doivent être soutenues par des investissements publics et privés, ainsi que par une bonne gouvernance et une planification stratégique à long terme. La promotion du tourisme durable et responsable est également un enjeu clé, permettant de préserver les ressources naturelles et culturelles des Pyrénées tout en assurant un développement économique équilibré.

Anne Marty revient sur “le modèle qui est à inventer. Il doit, me semble t’il, s’appuyer sur le territoire et les paysages plus que sur des activités. Il est plus facile de s’appuyer sur le Porc noir de Bigorre ou sur le fromager et ses visites de ferme. Nous devons aborder une vision « territoire » et non pas exploitant. Ce territoire ne doit pas s’arrêter à l’échelle de la commune, c’est bien à une échelle plus large de 2 heures.

Encore une fois, en tant qu’exploitant de domaines skiables, nous ne travaillons pas que pour nous, nous travaillons pour un territoire. A l’échelle d’Altiservice, nous faisons le choix d’investir sur le territoire y compris dans l’hôtellerie et la restauration. Nous venons d’ailleurs d’acheter un hôtel sur Font Romeu, mais nous n’investissons jamais seuls. Nous sommes des facilitateurs, nous considérons qu’au delà de ce que l’on sait faire, nous sommes des acteurs à part entière. Le partenariat public/privé est peut-être la juste solution.

Saint-Lary, nouvelle télécabine du Porté

Nous avons un certain nombre de stations qui sont aujourd’hui déconnectées d’une vie de village. Il est aujourd’hui extraordinaire de pouvoir rendre la montagne accessible au plus grand nombre et notamment les sites d’altitude. Ici à Saint-Lary, nous allons avoir une remontée mécanique ouverte l’été et ce n’était pas le cas avant. Un sénior va par exemple pouvoir monter au Pic de Tourette. A ce titre, j’invite les pouvoirs publics à porter les remontées mécaniques et à les financer sur les territoires où elles peuvent bénéficier d’une exploitation d’été”.

Blandine Vernardet, Directrice du domaine skiable du Grand Tourmalet, souligne quant à elle l’importance de mieux connaître les chaînes de valeur des stations de montagne et inviter les exploitants des domaines skiables, qu’ils soient publics, privés ou publics-privés à diversifier leurs propres chaines de valeur.

Hautacam © Les-Pyrénées

Face aux enjeux du tourisme en montagne, les Pyrénées et leur supplément d’âme, ont un réel avenir devant elles. D’un point de vue sociologique, elles bénéficient d’un imaginaire qui n’est pas exclusivement lié à l’hiver et qui porte par nature sur la diversification, le ski, la vie en montagne… des priorités collectives à l’échelle de ce massif. Aujourd’hui, malgré des oppositions sur l’avenir du ski, tous s’accordent à dire qu’il faut soutenir le ski car il est le moteur économique des territoires de montagne.

Concernant la diversification, plusieurs points de convergence rassemblent les acteurs pyrénéens :

  • les atouts des Pyrénées en matière de diversification / transformation
  • les prérequis de la diversification : capacité d’hébergement suffisamment importante, des services
  • la question de l’échelle pertinente d’action, qui dépasse celle de la station et appelle donc à des logiques de coopération solides à l’échelle des destinations
  • la question de l’élargissement de la chaine de valeur pour les gestionnaires de domaines skiables
  • l’expérience client à approfondir à partir des atouts pyrénéens, qui dépassent de loin les infrastructures de loisirs
  • le fait de connecter fortement le tourisme aux autres activités économiques et composantes du développement local.

Aujourd’hui l’Agence des Pyrénées compte poursuivre cette réflexion avec l’ensemble des acteurs concernés : stations et groupements de stations, collectivités locales, Etat, acteurs publics et privés du tourisme. Elle proposera un cycle de webinaires autour de témoignages très concrets, issus des Pyrénées ou d’ailleurs sur les démarches de diversification, transformation, changement d’échelle, élargissement de la chaine de valeurs et en poursuivant son appui aux projets et démarches des stations allant en ce sens via des formations-actions.


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