Neige de culture, prix du forfait, dérèglement climatique, baisse de la population locale… autant de sujets qui chahutent la montagne française. ILoveSki a rencontré Alex Maulin, Président des Domaines Skiables de France, Jean-Luc BOCH, Président de l’Association Nationale des Maires de Stations de Montagne et de France Montagnes, ainsi qu’Éric Brèche, Président du , qui reviennent en toute transparence, humilité et sincérité sur ces sujets.

La montagne et le dérèglement climatique

Jean-Luc BOCH : Pour commencer, je rappellerai que les extrêmes, quels qu’ils soient, ne sont jamais bons. On assiste à un diktat en France pour décrier un modèle, en particulier celui de la montagne. Les détracteurs n’ont pas toujours tort, il y a des choses qui sont vraies, et sur lesquelles nous devons impérativement nous améliorer. Mais l’avantage en montagne, c’est que nous sommes des gens résistants, résilients et surtout des gens qui ont compris depuis très longtemps que l’on se doit d’adapter le modèle sur celui qui est le plus lent dans une cordée, à savoir celui qui a le plus de difficultés.

Les plans neige consécutifs ont permis de maintenir une vie dans des territoires de montagne qui étaient hostiles au niveau géographique, climatique et météorologique. En regardant en arrière, on peut dire que cela a fonctionné.

Aujourd’hui, nous ne nions absolument pas le rapport du GIEC. Nous sommes tout à fait conscients que l’on vit un dérèglement climatique, qui engendre une modification de la façon de travailler et de concevoir le tourisme dans les années à venir. En ce qui concerne les données qui ont été formulées sur la visibilité à 30 ans, 40 ans, voire plus, tout dépendra évidemment du modèle, de l’altitude, des vents dominants, des versants sur lesquels sont implantées les stations en question. Nous devons écouter ce qui est en train de se passer sur nos territoires, réagir, modifier peut-être, et adapter le modèle économique, tout en sachant qu’aujourd’hui, le ski alpin est le principal moteur économique. Il est un vecteur économique mais aussi un vecteur de vie. C’est lui qui donne aujourd’hui du travail à la plupart de la population locale qui vit sur ces territoires.

Enfin, la France représente très peu d’impacts de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Dans les années à venir, l’Inde et la Chine vont créer entre 250 et 300 centrales à charbon pour produire de l’électricité qui générera un effet nuisible au niveau de la planète. Et pourtant, nous partageons tous le même air.

Alex Maulin : On assiste aujourd’hui à du ski bashing, mais plus généralement à un tourisme bashing, symbole du capitalisme. Certains voudraient avoir les revenus de cette économie touristique sans en avoir les inconvénients. Il faut que nous arrivions à dézoomer un peu et prendre de la distance. Nous ne sommes pas des victimes. Si nous sommes critiqués, c’est peut-être aussi parce que nous faisons des choses, et personnellement je préfère être critiqué car cela signifie que nous sommes dans l’action.

Nous sommes bien évidemment conscients des réalités, et il ne faut pas dire que l’on va dans le mur. Il y a des obstacles, oui, nous en sommes conscients. La montagne est l’une des premières à vivre au quotidien les effets du dérèglement climatique.

SOURCE : GREENLY. EARTH – MARS 2023

Le rapport du GIEC est pour nous une donnée d’entrée incontestable. Nous sommes conscients que le réchauffement climatique est là. Nous faisons aujourd’hui confiance aux données de Météo France, qui sont traitées par des scientifiques. C’est la première fois que nos avons la chance d’avoir cette visibilité. Pendant longtemps, nous nous cachions derrière notre petit doigt parce que l’on voyait bien que quelque chose changeait, sans bien en évaluer l’ampleur. Les études annoncent des échéances diverses selon les territoires. Quand on parle de 40 ans, c’est une vie professionnelle. C’est à dire que quelqu’un qui commencera à travailler aujourd’hui dans sa station pourrait faire toute sa vie professionnelle sur ce territoire. Nous allons continuer à nous adapter, et essayer d’amener intelligemment d’autres activités.

Eric Brèche : Il y a beaucoup de gens qui ont décrié notre industrie. C’est un état de fait. Je pense qu’il ne faut pas sur-agir à tout cela, il faut absolument prendre notre destinée en main. C’est vrai que les montagnards n’ont jamais été trop communicants. Nous n’avons jamais trop montré ce que nous faisions au quotidien parce que nous ne trouvions pas la nécessité de le faire. Le montagnard sait très bien qu’il évolue dans un milieu hostile et spécifique. Or, la résilience, l’abnégation, l’adaptation font partie de notre ADN.

Le rapport du GIEC est l’un des premiers rapports qui en appelle beaucoup d’autres. En tant que moniteur de ski, on ne peut pas nier ces déréglementations climatiques. Un jour il pleut, l’autre il neige. Nous avons une véritable responsabilité collective, nous en sommes tous conscients. Je ne connais pas quelqu’un qui ait envie de mal vivre au pays. Tout le monde a envie de bien vivre et de laisser quelque chose de correct à ses enfants. Arrêtons la démagogie pour certains, construisons les choses collectivement.

Lors de notre prochain congrès, le glaciologue et climatologue Jean Jouzel viendra nous expliquer les conclusions du 6ème rapport du GIEC. Nous devons continuer à travailler de manière très factuelle, en garantissant un avenir pour nos enfants.

Le prix du forfait de ski

Alex Maulin : Aujourd’hui en France, le forfait de ski est le moins cher d’Europe voire le moins cher du monde. Dans une enquête Ipsos que nous avons réalisée*, 50 % des Français sont issus de foyers dont le revenu du foyer est de moins de 3 000 € par mois. Nous sommes loin de ne toucher que les classes supérieures. Le ski concerne toute la population et il existe tous types de produits dans les stations de ski.

Jean-Luc Boch : Le modèle qui a été bâti au niveau de la montagne française est à l’origine un modèle social. Quelquefois, nous avons pu assister à des augmentation, voire certaines dérives, puisque c’est l’offre et la demande qui ont pu créer cette cavalcade vers les sommets. Aujourd’hui, nous avons cruellement besoin des petites et moyennes stations parce que c’est là où se fait l’apprentissage du ski, à un prix qui reste très modique. La France est un des pays où le titre de transport (forfait) est le moins cher au monde. Aujourd’hui, est ce que cette escalade des prix suit réellement le coût de l’inflation ? La réponse, pour la plupart du temps, est non. Si on regarde bien, en étant très objectif, une journée de ski dans une station de taille moyenne, c’est le prix d’une heure de cours de tennis dans une ville classique.

En ce qui concerne l’hébergement, il y en a de tous types, pour tous les prix, et toutes les bourses à partir du moment où on accepte d’aller dans des logements plus ou moins grands. De nos jours les clients veulent des appartements de plus en plus grands, de plus en plus spacieux, de plus en plus luxueux. Et tout cela, malheureusement, ça a un coût.

Eric Brèche : En montagne, l’unité n’est pas l’uniformité. Il existe des offres pléthoriques selon les stations, mais aussi à l’intérieur même des stations de ski. Concernant l’ESF, nous avons une progression de 50 000 heures du nombre de cours de ski destinés aux classes de découverte. Cela veut dire qu’il existe des prix attractifs pour favoriser l’apprentissage et découvrir la pratique.

* Le baromètre du ski IPSOS interroge un panel représentatif de français(ses), sur l’évolution de l’image du ski et l’attractivité des activités hivernales proposées par les stations de ski françaises, à la demande de France Montagnes, Atout France, L’Agence Savoie Mont Blanc, l’Association Nationale des Maires de Stations de Montagne, le Syndicat National des Moniteurs de Ski Français et Domaines Skiables de France.

L’évolution de la population locale dans les territoires de montagne

Jean-Luc Boch : L’évolution du nombre d’habitants est différente d’un territoire à un autre. La réussite économique de certains territoires de montagne fait qu’elle devient malheureusement inaccessible à la population résidente. En tant qu’élu, je déplore aujourd’hui que nous ne puissions pas bloquer un usage définitif à la résidence principale ou à la résidence saisonnière. Nous ne sommes pas maître de l’intégralité des dossiers, et des éléments qui constituent les PLU.

Ensuite, si on observe l’évolution de la population française à l’échelle globale, on se rend compte qu’elle ne progresse pas très fortement. Je ne vois pas comment notre territoire de montagne pourrait avoir une augmentation de la démographie et de la vie sur place alors que le territoire national ne l’a pas.

Évolution des populations des communes de montagne sur 30 ans (entre 1990 et 2020). Source : INSEE – Populations communales de 1876 à 2020.

Alex Maulin : Il est vraiment temps que l’on fasse confiance aux élus locaux, et que l’on donne des outils aux maires pour travailler sur l’avenir de leur territoire. Concernant l’évolution de la population locale en montagne, force est de constater certains effets d’aubaine sur nos territoires. Certaines personnes profitent de l’attractivité de ce territoire pour vendre leurs biens très chers et partir ensuite vivre sur les communes alentours. Ils y ont vu une opportunité de gagner de l’argent au travers de la vente de leurs biens de famille ou du bien qu’ils avaient construit dans le cadre d’une politique d’accès au logement. Nous sommes tous aussi un peu responsables à un moment de ces effets d’aubaine et il faut l’assumer. Cependant, à nous demain, de trouver des solutions pour que ceux qui veulent vivre sur le territoire puissent le faire.

On accuse le touriste d’empêcher les populations locales de se loger. Mais si demain, il n’y a plus de tourisme, la montagne fera partie de la diagonale du vide. Si on est victime de notre succès, et qu’on nous l’enlève, nous reviendrons comme avant, où les villages se videront, et ce ne sera pas -4 % mais peut-être -50 % sur nos territoires.


Selon l’INSEE, au 1er janvier 2023, la France compte 68,0 millions d’habitants. Au cours de l’année 2022, la population a augmenté de 0,3 % sur l’ensemble du territoire.


Eric Brèche : Ce qui se passe en montagne n’est pas étranger à ce qui se passe en plaine ou dans les villes. Le prix du mètre carré ne fait qu’augmenter. On ne peut pas reprocher aux gens de vouloir vendre leur bien. Dans les plaines, on observe de nouveaux quartiers qui se développent. Et en montagne, on ne veut pas développer à outrance. Il faut trouver de nouvelles façons de pouvoir justement donner des outils aux acteurs locaux (collectivités locales et régionales, départementales) pour que l’’on puisse créer et inventer des possibilités de fixer davantage les personnes dans ces villages de montagne. Nous, on y vit, et on veut continuer à y vivre.

La production de neige de culture

Alex Maulin : La production de neige de culture s’est beaucoup améliorée. Pour produire un mètre cube de neige, nous utilisons aujourd’hui 70 % d’énergie en moins qu’il y a 15 ans. L’eau est prélevée et stockée lorsqu’elle est disponible à certaines périodes de l’année. Une fois produite, cette neige de culture fond plus doucement que la neige naturelle. Elle permet donc d’échelonner le moment où l’eau va repartir vers la mer. J’aimerais vraiment que demain, un organisme comme l’ANEM (ou autres) puisse mener une étude globale sur l’eau et la neige de culture afin de pouvoir apporter des réponses scientifiques qui soient externes à une commande qui serait la nôtre.

Jean-Luc Boch : Il y a deux choses qui sont très importantes. La première, c’est le multi-usage de l’utilisation des retenues collinaires. On les utilise très souvent dans le cadre de la production de neige de culture, mais de plus en plus souvent pour l’irrigation ou alors pour l’alimentation de bétail en altitude.

Pendant la sécheresse de l’été 2022, nous nous sommes rendus compte que sur certains territoires de montagne, nous avons pu éteindre très rapidement des incendies grâce à ces fameuses réserves d’eau.

Enfin, le fait de créer de la neige de culture en altitude va permettre d’irriguer le territoire beaucoup plus longtemps, notamment lors de périodes de sécheresse. La neige de culture a une densité bien supérieure à la neige naturelle. Elle s’infiltre beaucoup plus lentement, imprègne le territoire, lui permettant de rester humidifié plus longtemps. Le fait d’avoir cette capacité de stocker à un moment donné de l’eau quand elle est en surabondance, au printemps notamment, va permettre de la redistribuer le reste de l’année. A titre d’exemple, en altitude aujourd’hui, les études scientifiques indiquent que 80 à 90 % de l’eau qui s’écoule au printemps suite à la fonte des neiges se dirige dans les ruisseaux, les rivières, les fleuves et finit dans la Méditerranée.

Eric Brèche: La neige de culture suscite beaucoup de débats. Cela prouve encore à quel point nous devons faire de la pédagogie sur ce sujet-là. Il faut absolument que l’on arrête d’avoir des débats hostiles qui n’avancent pas. J’en appelle à très court terme, l’État lui-même et les socioprofessionnels à se mettre autour de la table pour que politiquement, nous arrivions à trouver une convergence sur ce sujet.

Face à ces enjeux, force est de constater que les acteurs de la montagne s’assument. Et si assumer ses responsabilités consiste à prendre en main ce que l’on peut faire pour changer une situation, cela revient aussi à accepter que certaines choses échappent à notre emprise.

En conclusion, pas de soumission passive du côté de la montagne, mais plutôt le courage de chercher des solutions pour que cette montagne soit plus durable, solidaire et responsable. L’innovation, la prise de risques, et les actes seront la démonstration de ces intentions.