Dans de nombreuses sociétés, les femmes sont traditionnellement confrontées à diverses formes de discrimination et d’inégalité. Toutefois, des progrès significatifs ont été réalisés en matière d’égalité des sexes dans de nombreuses régions du monde et dans de nombreux secteurs d’activité.
Mais qu’en est-il de la montagne ? Quelle place les femmes occupent-elles ? Pour tenter d’apporter des éléments de réponse, I Love Ski est parti à la rencontre de l’association Mountain Sisters, un collectif de femmes professionnelles des secteurs de la montagne, qui vivent et travaillent sur ce territoire. Emilie Maisonnasse et Eva Rigotti nous en disent plus sur cette association.
« Mountain Sisters est un collectif de femmes de 9 cofondatrices. À la base, ce sont Laureline Chopard et Anne Gallienne qui ont eu la volonté de créer Mountain sisters. L’objectif était de s’interroger entre nous sur ce qu’est la place de la femme en montagne. Est-ce une problématique qui nous parle ? Cela nous touche t’il ? Nous nous sommes toutes réunies derrière ce sujet très rapidement car nous avons détecté qu’il y avait des choses intéressantes à faire pour porter ce sujet de la femme en montagne », nous explique Émilie Maisonnasse.
La bienveillance, maître-mot de l’association Mountain Sisters
Le collectif Mountain Sisters s’est constitué en association en 2021.
« Notre objectif est vraiment d’être dans la bienveillance. Nous ne sommes absolument pas contre les hommes. Ils peuvent d’ailleurs adhérer à l’association Mountain Sisters ».
L’association a pour objectif de mettre sur le devant de la scène (ou en tout cas faire émerger) ce sujet dans le milieu professionnel de la montagne. « Il existe déjà plusieurs associations sur la place de la femme en montagne dans le milieu sportif. Mais dans le milieu professionnel, il n’y avait pas encore ce réseau dans lequel on pouvait venir se fédérer et échanger.
Notre objectif est de faire en sorte qu’il y ait de la sororité dans le milieu professionnel de montagne. Et un des biais, notamment socioculturel, est que les femmes, entre elles, ne sont pas forcément aidantes. Nous souhaitons que certaines femmes qui sont à des postes bien placés, qui ont une aisance à la prise de parole en public, aident celles qui n’y arrivent pas ou les plus jeunes générations.
Il y a vraiment cette idée de tendre la main, de porter une voix commune et de s’entraider. Ce sont pour nous des valeurs qui sont extrêmement fortes. Nous ne nous adressons pas qu’à un public et des femmes ou à des hommes dirigeants. Nous souhaitons faire une place à la diversité de façon très large », précise Émilie Maisonnasse.
Les actions de l’association Mountain Sisters
L’association Mountain Sisters travaille à la mise en place d’une série d’actions fortes, avec la mise en place de cercles de parole, la mise en avant d’expertes et une analyse objective de la situation des femmes en montagne.
Les cercles de parole
« L’idée est de se réunir dans différentes vallées et de pouvoir échanger avec une petite dizaine de personnes sur ce sujet. Par exemple, comment est-ce que tu vis ta place de femme dans ce milieu professionnel de la montagne ? Qu’est-ce que tu vois comme freins ? Qu’est-ce que tu vois comme atouts ? Comment le vis-tu ? Comme le ressens-tu vraiment ? Cela se passe de façon très participative, très humaine, très chaleureuse et très conviviale. Le fait de parler procure une une sorte de thérapie. Tout ce qui se dit dans la salle de parole reste confidentiel », nous explique Émilie Maisonnasse.
Ces actions permettent également aux différents membres de se réunir, se connaître, se mettre en réseau, et faire union.
« Ces cercles de paroles sont très importants pour nous. C’est vraiment ce que les femmes attendent. Nous avons pu nous en rendre compte quand nous les avons rencontrées ».
Une mise en avant d’expertes
Dans le cadre du lancement de son activité, l’association a souhaité mettre en place une étude sur les représentations avec l’ambition de pourvoir proposer à terme « un baromètre annuel sur la place de la femme en montagne ». L’association souhaite s’appuyer sur le site internet les Expertes.com qui permet de mettre en lumière les femmes qui ont des sujets d’expertise, et de les faire connaître.
« Lorsqu’il y a des grands rendez-vous, comme Alpipro par exemple, il y a beaucoup d’hommes qui prennent la parole et qui sont invités aux tables rondes. Les organisateurs ne connaissent peut-être pas de femmes expertes sur les sujets. Nous allons essayer de démontrer que trouver des expertes n’est plus une difficulté ».
Une étude sur les représentations de la femme en montagne
Mountain Sisters vient de réaliser une première étude pour comprendre les représentations de la place des femmes dans les milieux professionnels de montagne. Cette étude, basée sur 250 réponses, a pour objectif de mieux comprendre la vision du sujet.
« Cette étude est là pour apporter des chiffres et des regards. Le but est de réaliser une étude à la fois quantitative pour avoir des chiffres sur la place de la femme et à la fois qualitative, en rencontrant des personnes qui sont dans le milieu de la montagne et obtenir leur regard sur ces sujets-là. Nous avons commencé l’étude il y a deux semaines avec une petite enquête flash qui nous a permis d’obtenir 250 réponses », nous indique Eva Rigotti.
Carte d’identité des répondantes
Dans un premier temps, le but de cette étude était de dresser la carte d’identité des répondant(es). L’association a constaté qu’il s’agissait d’un panel assez jeune avec un âge moyen de 33 ans, plutôt qualifiées avec 95% qui ont au moins un bac +2.
Eva Rigotti revient en détail sur certains chiffres : « 73% de ces 250 personnes sont des personnes qui travaillent en montagne et 8O% sont des femmes. Cette enquête a été diffusée uniquement sur deux semaines, principalement dans le réseau des Mountain Sisters qui est pour l’instant majoritairement féminin. On y retrouve naturellement des personnes qui travaillent ou qui vivent en montagne. Le reste sont plutôt des touristes ou des personnes extérieures à la montagne qui ont pu répondre à toute la première partie de l’étude, mais pas à la seconde sur les métiers et les professions en montagne. »
Durant l’été, nous allons travailler sur la partie qualitative et nous allons creuser les résultats de cette étude quantitative ».
La première partie de ce questionnaire porte sur la perception de l’égalité des genres. Les résultats démontrent que 62% des femmes sont plus d’accord pour dire que cela n’est pas une réalité. Puis, il y a une question sur l’égalité des genres dans le secteur de la montagne. Les hommes s’accordent pour dire que l’égalité des genres n’est pas une réalité.
Par la suite, il leur a été demandé quelles sont pour elles/eux les métiers et secteurs d’activité lorsqu’on parle de femme en montagne. Le constat ? 2 catégories de métiers apparaissaient :
- Les métiers genrés « pour de vrai » avec les métiers du tourisme, les métiers de service en restauration et l’image de l’hôtesse de vente de forfaits de ski.
- Les métiers qui ont un fort pouvoir d’évocation, « rôle modèles » (inspirants dans l’imaginaire) comme la bergère, la monitrice de ski, la guide et la gardienne de refuge.
La deuxième partie de l’étude portait sur la visibilité des professionnelles. La question posée consistait à savoir si la femme était sous-représentée ou sur-représentée dans les événements cités ci-dessous. Les résultats démontrent que les hommes et les femmes s’accordent pour dire que les femmes sont très sous-représentées dans ces évènements.
La troisième partie est centrée sur la cosmologie, à savoir tout ce qui est imaginaire et la représentation autour d’une idée ou d’une valeur. L’étude a demandé de donner 2 adjectifs pour décrire le féminin en montagne. Vu par les femmes, c’est le courage, la nature et la sensibilité qui reviennent le plus. Les idées de sport, de force et d’endurance arrivent en second temps.
Pour le féminin vu par les hommes, c’est le sport et le caractère qui arrive en premier tandis que le courage et la force n’arrivent qu’en secondaire. Pour les hommes, sensibilité et nature n’apparaissent pas du tout. Il existe de nombreux clichés sur « la femme en montagne » comme la fragilité, la peur du danger, le manque de résistance et un manque d’autonomie.
La quatrième partie de cette étude portait sur les personnalités inspirantes. Il a été demandé aux répondants(es) de donner pour elles / eux, les personnalités inspirantes en montagne. Les résultats démontrent qu’il y a autant de personnalités hommes que femmes. (47% hommes, 47% femmes et 6% non genrés). Les 3 personnes les plus citées sont 3 femmes. Pour les hommes et les femmes, la personne la plus inspirante est Marion Poitevin.
Enfin, la dernière partie de cette enquête portait sur les pistes de réflexions et d’actions. « Le premier point est « Mesurer ». Il faut disposer de données chiffrées et factuelles à l’échelle du secteur et les diffuser largement. Puis, mesurer le temps de parole et la présence des femmes expertes sur les événements professionnels et dans les médias.
Dans un second temps, l’objectif est de faire évoluer activement les représentations en améliorant la présence d’expertes dans l’espace public, faire apparaitre des nouveaux « role models » et permettre l’inclusivité et la diversité en tout genre, que ce soit chez les hommes, les femmes ou la communauté LGBTQ+.
Enfin, le troisième point est d’ouvrir les échanges, en parler ouvertement pour éviter tout ce qui est sexisme systémique ».
Mountain Sisters, comment est perçue votre initiative par le secteur de la montagne ?
Emilie Maisonnasse : J’ai envie de dire que cela est variable. De la part des femmes, nous avons un très bel accueil avec déjà quasiment une centaine d’adhérentes. On sent qu’il y a un vrai besoin et que cela fait du bien aux femmes de se sentir soutenues et écoutées.
Et puis, il y a des accueils où on nous répond que cela n’est pas un sujet, « qu’il y a des femmes en montagne, qu’elles sont déjà à des postes de direction ». Il y a aussi ce genre de réactions. Par contre, nous n’observons pas de posture très radicale ou très dure. Globalement, nous avons soit un bon accueil, soit un non-sujet. C’est important de dire que nous ne sommes pas des féministes. Nous sommes vraiment dans une optique de bienveillance et nous ne visons pas les hommes.
Ce que l’on vise, c’est de se dire que de façon sociale, structurelle, systémique, nous avons un regard sur la femme qui est différent de celui de l’homme. Encore une fois, cela n’est pas à cause des hommes en montagne. C’est juste que la société est faite comme ça, et que la montagne n’y échappe pas. Par contre, il est important de le faire savoir, de le mettre en lumière, car c’est le point de départ d’une évolution que l’on souhaite », nous explique Émilie Maissonnasse.
L’association Mountain Sisters travaille-t-elle avec des partenaires ?
Emilie Maisonnasse : Il y a quelques sociétés qui sont sensibles à ce sujet, notamment sur les sujets de la RSE. Il y a effectivement plusieurs sociétés qui nous soutiennent et certaines se sont rapprochées de nous pour mener des actions ensemble. Pour l’instant, nous restons très indépendantes. Et là aussi, c’est important pour nous d’essayer de se structurer parce que nous sommes toutes bénévoles. Notre objectif est de disposer de chiffres pour avancer. Nous devons être dans le factuel pour se dire que ce n’est pas juste une posture.
Y a t’il a une vraie campagne de recrutement chez Mountain Sisters ?
Emilie Maisonnasse : Non, honnêtement, ce n’est pas la finalité. Nous souhaitons faire émerger ce sujet, le partager, faire du bien à l’écosystème. C’est vraiment fondamental, nous sommes dans une posture très bienveillante. Nous avançons comme on le peut, en tenant compte de nos vies personnelles et professionnelles.
Nous souhaitons que ce sujet soit traité de façon positive et qu’il émerge petit à petit. Cela peut se faire à travers des grandes prises de paroles comme nous l’avons fait au salon Alpipro, mais aussi à travers des cercles de parole. L’objectif n’est pas d’être présentes partout.
Comment les femmes font-elles pour se rapprocher de l’association Mountain Sisters ?
Emilie Maisonnasse : Elles peuvent adhérer à l’association Mountain Sisters via notre site internet. Nous animons également une page LinkedIn. Par la suite, elles peuvent être adhérentes et être invitées à participer à des cercles de paroles. Nous allons aussi organiser des formations et des webinaires pour intégrer les expertes.com.
L’adhésion coûte seulement 30€. Nous essayons d’être dans de l’accessibilité. C’est important pour nous que ce ne soit pas un cercle de dirigeantes, ce n’est pas notre but.

Le sujet de la place des femmes a été abordé en 2019 par ILoveSki, et plusieurs interviews ont été menées par notre équipe de rédaction. Nous vous invitons à les (re)découvrir :
> La place des femmes dans les domaines skiables
> « Les femmes ne postulent pas » – Interview de Anne Marty
> « Lorsqu’un poste de directeur se libère, il n’y a pas de demandes de la part des femmes » – Interview de Christine Massoure
> « Je pense qu’il s’agit d’une auto-censure de la part des femmes » – Interview de Blandine Tridon
> « Je pense que c’est une mauvaise perception du métier par les femmes » – Interview de Marion Luigi
> “Le fait d’avoir une directrice à la tête d’un domaine skiable entraîne une féminisation des équipes» – Interview de Blandine Vernardet