ILoveSki a rencontré Christine Massoure, l’une des personnalités majeures de la montagne pyrénéenne. Depuis sa jeunesse, elle consacre sa vie à la montagne et au développement de ce territoire. Elle revient avec nous sur la naissance de la marque N’PY et en 2019 de la Compagnie des Pyrénées qu’elle co-dirige aujourd’hui. Femme d’action et de convictions, elle nous dévoile ses motivations et le regard qu’elle porte sur la montagne de demain.
Christine Massoure, pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel ?
Christine Massoure : Je vais avoir 60 ans, je suis née à Luz-Saint-Sauveur, et aujourd’hui je suis Directrice Générale de la Compagnie des Pyrénées à Lourdes. J’ai donc beaucoup voyagé dans ma vie (rire) ! Au-delà de cette plaisanterie, il s’agit d’un vrai choix de vie, celui de vivre dans les Pyrénées et pour les Pyrénées. Ma logique a toujours été d’œuvrer aux côtés des collectivités pour permettre le développement de ces territoires et surtout les stations de montagne.
Mon environnement familial et mon père en particulier (qui était élu local) m’ont aidé à tracer la route. J’ai commencé ma carrière dans le ski avant 18 ans, en étant monitrice de ski diplômée parmi les plus jeunes de France. En parallèle j’ai fait des études universitaires et j’ai passé une maîtrise de mathématiques appliquées avec une option « Développement du territoire » à Pau. Un endroit idéal qui me permettait de profiter des Pyrénées, d’entraîner en ski et d’enseigner en parallèle.
La rencontre avec Henri Mauhourat alors jeune ingénieur, directeur de la station de Piau orientera définitivement ma carrière vers les domaines skiables. Il m’a appris à regarder l’avenir et que rien n’est impossible si on s’en donne les moyens. Certifier l’ensemble des domaines skiables des Pyrénées, négocier la réduction du temps de travail puis plus tard créer N’PY et récemment la Compagnie des Pyrénées, quelques initiatives que nous avons conduites ensemble et toujours dans l’idée qu’ensemble on est toujours plus forts.
J’ai donc débuté comme chargée de mission d’aménagement de stations de ski pour le Département 65. Une nouvelle rencontre marquera mon apprentissage celle de Jean Cattelin, premier responsable des pistes de Courchevel avec qui j’ai arpenté les Pyrénées.
Curieuse, obstinée et avec une farouche volonté d’apprendre, le fait d’être une fille dans un milieu très masculin m’a permis d’être plus facilement acceptée.
Après 10 années, la rencontre avec Roger Dabat, responsable d’un centre de formation pour adultes pour l’éducation nationale marquera un nouveau tournant. Il est venu me voir en me disant : « toi tu connais la montagne » et nous sommes partis pour une aventure d’une dizaine d’années. Le rectorat nous a laissé carte blanche à la fois pour développer des parcours de formation pour adultes dans tous ces milieux et pour accompagner la profession. La section Pyrénées du SNTF, présidée successivement par J Dansaut, JC Faraudo puis Henri Mauhourat nous accordera sa confiance. C’était une époque formidable parce qu’il y avait beaucoup de moyens qui nous ont permis de monter des dossiers assez extraordinaire tels que la négociation de la réduction du temps de travail sur l’ensemble des stations, la certification qualité pour donner le change au service de contrôle …
Christine Massoure, pouvez-vous nous en dire plus sur la Compagnie des Pyrénées ?
Christine Massoure : La montagne est un petit monde avec beaucoup de liens personnels qui se tissent au fil du temps. Nous étions 4 copains : Henri Mauhourat (Etablissements Publics des stations d’altitude : la Pierre-Saint-Martin, Gourette, et Artouste), Francis Guiard (Luz Ardiden), Bernard Malus (Grand Tourmalet), Noël Lacaze (Peyragudes) et moi-même désireux d’aller au-delà des initiatives portées par la chambre syndicale. Il nous est apparu évident qu’une réflexion collective sur la commercialisation des Pyrénées ne pouvait qu’améliorer la performance de chacun. Nous avons donc d’abord créé une association pour vérifier si cette idée était une fausse bonne idée.
Dès 2003, nous avons créé un produit PPU qui était les prémices de la Carte No Souci et permettait d’aller skier dans toutes les stations sans passer en caisse. Inutile de dire qu’en 2003 l’automatisation du concept était quand même un peu ambitieuse ! Nous avons passé quelques nuits à valider les prélèvements et les renouvellements. Mais dans tous les cas l’aventure avait débuté, et dès la première année, nous avions déjà 10.000 abonnés.

Nous sommes revenus vers les élus en leur présentant les résultats et en 2004, la société d’économie mixte N’PY, Nouvelle Pyrénées et sa marque éponyme. Le produit « carte de fidélité No Souci » a démarré à ce moment-là, et aujourd’hui ce sont un peu moins de 100.000 abonnés. C’est une très belle réussite en termes de fidélisation, de relation client aussi de personnalisation, et de base de données.
Nous ne sommes pas exploitants, mais la marque commune N’PY s’est imposée sur l’ouest de la chaîne pyrénéenne. Aujourd’hui le client va dans une station N’PY avec les engagements de la marque collective sans pour autant gommer les marque de chacun des sites ni leurs spécificités. Cette initiatives ont bénéficié à l’ensemble de la profession car cela a permis de remonter les standards et d’imposer de nouveaux produits, une nouvelle façon de consommer.
Rapidement, Cauterets, Piau et le Pic du Midi ont ensuite rejoint l’actionnariat et adhéré aux actions collectives (achat, groupes métiers, commercialisation …).
L’aventure a pris un tournant significatif avec l’émergence d’Internet et aujourd’hui, nous réalisons un peu moins de 40% du volume d’affaires global des stations (entre le produit d’abonnement et les ventes sur Internet).
La saison dernière (2021-2022), nous avons frôlé les 30 millions d’euros de volume d’affaires.

L’ambition à l’origine était d’améliorer la qualité des services aux clients de proximité mais rapidement il est apparu qu’une démarche collective pouvait permettre de capter des clients au-delà de notre zone de chalandise, la condition est de pouvoir proposer un produit complet avec de l’hébergement.
Pour se donner les moyens de cette nouvelle stratégie, nous avons envisagé une première filialisation et la filiale commerciale N’PY Résa est née en 2016 : nous avons fait rentrer pour la première fois au capital de cette SAS, la Caisse des Dépôts Banque des territoires. Ils nous ont très tôt fait confiance et cela nous a permis de monter une Marketplace avec l’ensemble des biens qui comptabilise aujourd’hui près de 20.000 lits. En toute transparence, c’est un demi succès. Nous avions pensé collectivement que l’enjeu était de se donner les moyens maîtriser la technologie pour exister aux côtés des nouveaux opérateurs (Booking, Airbnb …) et mettre l’outil et l’offre à disposition de tous les échelons territoriaux avec une plateforme commune.
Nous voulions être précurseurs, on nous a vu hégémoniques et beaucoup d’institutionnels ont développé des outils propres. Aujourd’hui, la stratégie est toujours d’actualité et progressivement des territoires de se dotent de la plateforme en marque blanche et nous tissons des partenariats comme avec le département des Hautes-Pyrénées HPTE, qui utilise notre plateforme pour exposer ses offres. Il faut du temps pour créer la confiance et je suis parfois un peu impatiente !!

En 2019, les élus nous ont demandé de réfléchir plus largement à l’avenir des domaines skiables face aux difficultés des collectivités à assumer les investissements nécessaires. Après une année de travail avec la Compagnie des Alpes Management, il a été proposé de s’adosser plus fortement à des actionnaires de rang supérieur, sans attente de rémunération à court terme. La région Occitanie dans un premier temps, puis la région Nouvelle Aquitaine et les départements ensuite (à l’exception du département 31 mais pour lequel nous avons un accord de principe) sont entrés au capital de la Société d’Economie Mixte, la Banque des Territoires a renforcé sa participation, la société N’PY est devenue « Compagnie des Pyrénées ». Ce nouveau nom permet de dissocier la société de la marque NPY. La stratégie de marque collective N’PY reste d’actualité sur la partie ouest des Pyrénées et sera associée à d’autres marques afin de contribuer à l’attractivité globale de la destination Pyrénées.
Dans la continuité et toujours en 2019, nous avons créé une filiale de prise de participations. L’objectif est de pouvoir capitaliser des sociétés locale au côté des collectivités afin de répondre à des Délégations de Service Public, un premier dossier réussi avec l’entrée au capital du Grand Tourmalet puis la réalisation de plus de 7M€ d’investissements. Une société foncière vient compléter le dispositif et permet le portage d’opérations immobiliéres seul ou en partenariat avec d’autres investisseurs pour contribuer à réchauffer les lits touristiques. Enfin, le panorama ne serait pas complet sans évoquer les sujets de mobilité pour lequel on s’appuie sur les moyens des 2 Régions Occitanie et Nouvelle Aquitaine.
L’élargissement de notre intervention à l’ensemble de la chaine des Pyrénées devient réalité dés cette saison. La carte No Souci devient No Souci Pyrénées avec l’entrée de 6 nouveaux domaines skiables, Ax 3 domaines, Guzet Neige et Monts d’Olmes en Ariége, TRIO dans le département des Pyrénées Orientales (Porté Puymorens, Cambre d’Aze et Formiguéres) avec qui nous engageons une collaboration plus large.
Quelle est votre fonction aujourd’hui au sein de la compagnie des Pyrénées ?
Christine Massoure : Je suis Directrice Générale et j’ai depuis 2 ans à mes côtés Régis Lignon, Directeur Général Délégué. Une nouvelle organisation, des moyens humains renforcés qui reflètent le changement de dimension voulu par nos nouveaux actionnaires et ce n’est qu’un début !
Quelles sont vos motivations ? Pourquoi vous levez-vous le matin ?
Christine Massoure : le sujet du développement des Pyrénées dans sa globalité me passionne, ainsi que le rôle que je peux avoir, à ma petite échelle. J’ai toujours été motivée par cela et par ma place, au service des élus, en tant que techniciens, je suis là pour les aider à imaginer un projet et le porter avec eux mais l’élu est toujours le décideur. Je ne pourrais pas travailler avec des gens qui ne partagent pas cette vision là et ses valeurs de bienveillance et de respect même si aujourd’hui, la nécessité de veiller aux équilibres économiques des projets prend le pas sur l’intérêt général des terrioires.
L’aventure N’PY et aujourd’hui Compagnie des Pyrénées est une aventure fabuleuse. Je n’ai pas passé un jour en me demandant ce que j’allais faire au bureau. La passion, c’est la clé de ma motivation.
Quelles sont vos plus grandes satisfactions ?
Christine Massoure : Indéniablement, les rencontres qui ont jalonné ma vie et qui m’ont permis d’arriver ensemble, là où nous en sommes aujourd’hui. En 2004, nous avions rêvé la compagnie des Pyrénées. Nous y sommes arrivés en faisant adhérer l’ensemble des acteurs à une stratégie collective d’un réseau volontaire de domaines skiables et sites touristiques concurrents pas simple, parfois considérée comme intrusive mais qui réussit. Aujourd’hui, nous avons fait notre l’adage « seul, on va plus vite mais ensemble, on va plus loin » et je suis convaincue que les Pyrénées réussiront.
Quel est votre plus grand regret ?
Christine Massoure : La vie est faite de regrets mais j’ai eu la capacité jusqu’à aujourd’hui de regarder toujours devant. Un regret professionnel, celui de ne pas avoir eu l’occasion de diriger un domaine skiable. Plus personnellement, je regrette de ne pas toujours savoir tempérer mon enthousiasme et mon impatience et surtout je suis peinée que cela puisse être pris pour de l’ambition personnelle. Mais ce qui compte aujourd’hui, c’est d’avancer.
Comment voyez vous la montagne de demain ?
Christine Massoure : La montagne repose sur un écosystème qui est fragile, où toutes les parties interagissent entre elles. L’économie de la neige est nécessaire à l’économie de la montagne. Nous disposons aujourd’hui de données modélisées qui nous montre l’évolution de l’enneigement sur les différents massifs.
De nombreuses collectivités ne voient pas d’issue sans le ski, et nous n’avons pas de solution miracle. La tendance est parfois de s’agripper à ce modèle, personnellement, je crains que les choses aillent très vite et que ce choix-là ne soit pas gagnant. Nous avons l’ambition avec la Compagnie des Pyrénées d’accompagner l’évolution des stations en particulier, celles qui ne trouvent pas leur équilibre économique pour anticiper et progressivement aller vers de nouveaux modèles. Nous avons lancé une réflexion sur la diversification et les modèles économiques alternatifs au ski, et nous essayons comme toujours, de trouver collectivement de trouver des solutions.
Les générations changent, avec parfois des difficultés à recruter. J’espère que les générations futures seront aussi motivées que nous avons (et le sommes encore !) pu l’être et aussi intéressées par le développement des territoires. On ne fait cela ni pour s’enrichir, ni pour la gloire : on fait cela parce que l’on croit en un projet et un territoire. J’espère donc que les générations à venir sauront trouver ce ressort là qui est indispensable.