La saison d’hiver 2020-2021 aura incontestablement été marquée par la non-ouverture des remontées mécaniques. Des installations à l’arrêt qui ont généré un manque à gagner pour leurs exploitants et qui, par un effet « boule de neige », ont fortement impacté l’ensemble de l’industrie de montagne. I Love Ski a échangé avec Nathalie Saint Marcel qui nous communique un état de santé général des acteurs de la montagne, au travers de son regard de Directrice Adjointe du Cluster Montagne.

Des acteurs résistants et résilients face à une crise sans précédent
Le Cluster Montagne regroupe une part importante des entreprises qui constituent la filière de l’aménagement touristique de la montagne en France. Une filière d’excellence constituée essentiellement de TPE et de PME. Il s’agit d’entreprises très présentes à l’international, assises sur un certain niveau de compétences, avec un savoir-faire français connu et exporté depuis de nombreuses années.
« A l’heure où l’on se parle, la saison d’hiver est définitivement derrière nous. En temps normal, nous entrerions dans une période de projection et d’investissements. Aujourd’hui, les carnets de commandes sont quasiment vides. Les projets dans le secteur des remontées mécaniques, le plus emblématique et symbolique, sont aujourd’hui majoritairement reportés », précise Nathalie Saint Marcel.
Des baisses de chiffres d’affaires de l’ordre de 30%
Depuis le mois de décembre 2020, le Cluster Montagne a établi un baromètre avec les entreprises membres, afin de mesurer l’évolution de l’activité dans ce contexte de crise sanitaire et économique. « Nous devons faire face à des baisses de chiffres d’affaires sur 2020 de l’ordre de -30% en moyenne. Certaines entreprises sont déjà à -50%.
En ce qui concerne les perspectives de 2021, je ne dirais pas que l’on n’en a pas, mais pas loin. Quelques frémissements commencent à s’opérer grâce aux indemnités de l’Etat accordées aux exploitants de remontées mécaniques. Nous avons tout de même beaucoup d’incertitudes concernant les modalités de calcul et la typologie de dépenses qui peuvent être prises en compte, notamment les dotations aux amortissements », indique Nathalie Saint Marcel.

De nombreuses entreprises du Cluster Montagne possèdent une dimension internationale, et l’impact de cette crise a clairement affecté l’internationalisation de ces structures. « Il y a un énorme ralentissement des projets avec le fait que tous les pays du monde sont eux aussi au ralenti. La moitié de nos entreprises exporte et cela représente environ 10 à 20% de leur chiffre d’affaires. C’est une situation compliquée car l’activité nationale est à l’arrêt et l’activité internationale ne peut pas être un levier économique ».
La montagne : un écosystème saisonnier, à fort effet domino
L’enjeu pour les professionnels, pendant le pic de la crise, a été de sensibiliser le Gouvernement à l’écosystème de la montagne. La montagne et les stations de ski ne se résument pas aux seuls exploitants de remontées mécaniques. Les restaurateurs, les loueurs, tous les fournisseurs en amont, mais aussi en aval, comme les taxis, les blanchisseries… dépendent également de cette économie touristique en montagne. « Notre bataille a été de faire comprendre que d’autres entreprises, non concernées par la fermeture administrative des remontées mécaniques, se sont retrouvées complètement à l’arrêt ».

Ce travail de pédagogie et de mise en lumière de l’écosystème de montagne a permis à certaines activités d’être inscrites sur les listes S1 S1bis. Une inscription qui permet à ces entreprises (particulièrement impactées par la crise) de bénéficier de mesures de soutien renforcées, et notamment le fond de solidarité.
« Aujourd’hui, les entreprises n’ont pas retrouvé leur cycle d’exploitation habituel, mais elles ont toujours des coûts fixes. Il faudrait, pour pouvoir assurer la pérennité de ces entreprises, que les aides perdurent jusqu’au printemps 2022. En effet, la fin de la saison d’hiver engendre des investissements pour les prochaines saisons qui commencent dès le printemps, soit dans un an ! » ajoute Nathalie Saint Marcel.
On espère profondément que la saison d’hiver 2021-2022 se déroulera correctement.
« C’est à l’issue de la prochaine saison que nous pourrons mesurer si les entreprises connaissent un cycle d’exploitation normal, avec des prises de commandes et des décisions d’investissements. Mais entre temps, pour beaucoup d’entreprises, il ne se passera rien. Nous cherchons des solutions pour que cela soit tenable économiquement pour ces entreprises».

Parmi les secteurs d’activités les plus affectés par la crise, Nathalie Saint Marcel évoque le cas des installateurs de remontées mécaniques, qui met également en lumière l’enjeu du maintien des compétences : « ces derniers sont complètement à l’arrêt. Ils peuvent par exemple travailler dans l’industrie, mais ce sont des compétences très spécifiques, avec des outillages particuliers. L’essentiel de leur activité est la montagne, et les compétences sont parfois difficiles à acquérir. Il y a une vraie crainte de perte de compétences dans ce domaine. Ces personnes-là vont bien devoir trouver un travail, puisque leur principale activité s’est arrêtée. Ils vont aller ailleurs ! Lorsque nous aurons besoin d’eux les prochaines saisons, ils ne seront plus là, et nous n’aurons plus ces compétences… »
Sauver des emplois : un enjeu de taille et de durée
Après une saison blanche en montagne, l’enjeu est aujourd’hui de maintenir le tissu économique dans les vallées de montagne afin de conserver l’attractivité de ces territoires. « Il s’agit pour nous de faire entendre aux pouvoirs publics la nécessité de poursuivre les dispositifs d’aide déjà mis en place. Quand la béquille va être retirée, nous risquons d’assister à des chutes en cascade. Personne ne remet en cause aujourd’hui l’effort et la réactivité dans la mise en place des dispositifs d’aides. Malheureusement, nous assistons à des départs de certains salariés, et il est difficile de recruter et former lorsque l’activité est complètement à l’arrêt. Nous devons permettre aux entreprises de conserver leurs salariés, c’est notre plus grand combat aujourd’hui », précise Nathalie Saint Marcel.
De « petites lumières dans le brouillard » de la crise
La montagne française avance depuis de nombreuses années vers un positionnement 4 saisons. De nombreuses entreprises se sont d’ailleurs positionnées sur des services et des activités qui contribuent à la diversification. La non ouverture des remontées mécaniques cet hiver, a donné la part belle aux activités complémentaires au ski alpin. Plusieurs entreprises sont d’ailleurs confrontées à une crise, mais une crise de croissance. « Nous avons aujourd’hui de très bons retours d’expérience d’entreprises qui sont justement positionnées sur des activités 4 saisons ou estivales. Elles sont en train de gérer leur croissance plutôt que de gérer leur crise. Ce sont des petites lumières dans ce brouillard. Cela est par exemple vrai pour les entreprises qui proposent des parcours VTT.
Cela est quand même encourageant car le tourisme de montagne est très prometteur et a une forte attractivité, où que cela soit dans le monde ! » conclut Nathalie Saint Macel.
S’il fallait voir dans cette crise sans précédent, un aspect positif pour la montagne, ce serait sans aucun doute la mobilisation et la solidarité entre les acteurs de la montagne, pour ne parler que d’une seule voix.
De nombreux acteurs de la montagne sont avant tout des montagnards qui gardent la tête haute quoi qu’il arrive. Des montagnards qui ont appris que lorsque l’on est coincé sur une voie d’escalade, il faut toujours sortir par le haut. Aujourd’hui, fort est celui qui utilise la crise comme moteur pour avancer.