Avec des remontées mécaniques toujours fermées et une neige abondante, les stations de ski sont prêtes à ouvrir. La prochaine décision du Gouvernement est prévue le 20 janvier prochain. ILoveSki est parti à la rencontre de Laurent Garcia, Directeur de la station de Peyragudes dans les Hautes-Pyrénées. Là haut, les remontées mécaniques sont à l’arrêt, pas encore d’aides au titre de l’activité partielle, pas d’agitation, pas de sourire de skieurs… La neige et le soleil sont les seuls protagonistes de la station.
Laurent Garcia, pouvez-vous revenir avec nous sur la situation sanitaire actuelle dans les stations de ski ?
Laurent Garcia – Il est difficile aujourd’hui de trouver la bonne formulation pour évoquer cette situation. Entre la colère que nous avons pu avoir à un moment – et qu’il faut savoir maîtriser – , nous sommes toujours dans l’incompréhension. Une incompréhension qui reste réelle car nous sommes tous à nous poser la question de savoir si les choix qui sont faits sont les bons. Est ce que les restrictions qui sont faites à la montagne, en tant que transporteur public (et qui ne sont pas d’actualité sur les autres transports publics français), sont pertinentes ? Pourquoi les remontées mécaniques sont le seul transport public français à être interdit aujourd’hui ? Pourquoi les terrasses de bar en altitude et en plein air ne pourraient-elles pas être ouvertes en journée en s’adaptant ?

En même temps, nous avons un certain niveau de confiance, car il faut bien en avoir, en les gens qui nous gouvernent et qui prennent les décisions. L’enjeu sanitaire est tel qu’il est difficile pour quelqu’un comme moi ou les exploitants de se mettre à la place de ceux qui ont des décisions à prendre et qui ont, je l’espère, beaucoup plus d’informations pour leur permettre de définir la meilleure stratégie.
Aujourd’hui, nous subissons plus que nous n’orientons. Cela est peut-être le défaut de la démarche. Nous ne sommes pas dans l’orientation. Nos territoires, nos élus, les exploitants, avons du mal à faire entendre notre voix et donner des orientations pouvant aider à mieux définir des conditions d’ouverture, de fermeture ou d’ouverture partielle. Il n’y a pas eu d’après moi assez d’échanges et de concertation en amont de la saison qui auraient permis d’avoir des conditions différentes, adaptées localement, qui nous auraient permis de travailler … sans aides massives. C’est ce qu’on fait pourtant d’autres pays (Suisse, Espagne, Autriche) malgré la volonté affichée d’un consensus européen sur le sujet.

Aujourd’hui, comment vivez-vous cette fermeture des remontées mécaniques dans les stations de ski ?
Laurent Garcia – Nous serions capables de faire travailler un certain nombre de salariés et de commerçants, même si nous ne travaillions pas à plein. Mais aujourd’hui, nous sommes complètement suspendus à l’attribution des aides et aux rouages administratifs qui entourent l’obtention des aides.
Entre la volonté et l’attribution réelle, il y a deux poids, deux mesures. Il y a d’un côté des intentions qui sont affirmées par le Gouvernement et de l’autre l’application des annonces qui est très lente.
Là où je peux quand même émettre un ton de critique, c’est qu’à l’heure où l’on se parle (bientôt mi-janvier), nous ne sommes pas ouverts depuis le début de la saison, on nous a fait embaucher les salariés, et nous supportons depuis tout le coût de la masse salariale ».
Les remboursements des salaires de décembre ne sont pas encore intervenus

On nous a demandé de sécuriser les domaines skiables durant les vacances de Noël. Nous l’avons fait à nos frais mais nous n’avons pas encore touché un euro d’indemnisation, visiblement les compensations financières ne sont pas prévues avant mi février. En face, pèse l’ensemble des échéances mensuelles, notamment les remboursements de nos prêts bancaires, les échéances sociales maintenues, les factures fournisseurs, les taxes… Rappelons aussi, nous nous sommes préparés et continuons à nous préparer pour une éventuelle ouverture. Pour ce faire, nous avons engagé en décembre et en janvier des frais de production de neige de culture, des frais de damage pour préparer les contions nécessaires au manteau neigeux et à la sécurité des clients qui parcourent nos pistes en raquette et en ski de randonnée. Tout cela est de l’argent déboursé par avance sans un euro de recette en face et sans perspective réelle d’ouverture.
C’est beaucoup d’amertume aujourd’hui entre des choix qui nous imposent une fermeture et des annonces qui ne sont pas aujourd’hui traduites dans les faits.

En quoi cette fermeture des remontées mécaniques impacte t’elle votre territoire ?
Laurent Garcia – En janvier, nous aurions eu 150 personnes liées à l’exploitation. Nous nous orientions vers 170 personnes pour les vacances de février. A l’échelle de la station de ski Peyragudes, qui reste une station de taille moyenne, avec ses 5000 lits au pied des pistes et le reste dans les vallées, nous savons que nous faisons travailler autour de nous, dans un périmètre immédiat, plus de 500 autres personnes. Sans compter ceux qui sont plus bas dans les vallées (commerces et hébergements)…
Nous rappelons souvent que 1 euro dépensé dans les remontées mécaniques représente 7 euros dépensés sur le territoire.
Cela veut dire que ce qu’il nous manque aujourd’hui, à mi-janvier, ce sont 4 millions de recettes de remontées mécaniques nécessaires à l’équilibre de nos charges. On peut facilement calculer que notre petit territoire des vallées du Louron et du Larboust a déjà perdu 28 millions d’euros. A la fin de la saison d’hiver, le gouffre va être énorme.

Êtes-vous prêts à ouvrir dès que possible ?
Laurent Garcia – Bien sûr, la station est prête pour une ouverture dès que possible. Nous faisons actuellement des micro-ouvertures le week-end sur les espaces débutants et sur un site d’entraînement pour les clubs et les moniteurs de ski qui ont des examens à présenter.
Nous nous sommes inscrits dans cette dynamique de soutien aux clubs licenciés pour faire skier les mineurs. C’est important pour les jeunes. On parle beaucoup des étudiants qui sont perdus dans le méandre de leurs études du fait du distanciel, mais pour les enfants, ce n’est pas facile non plus. C’est au moins cela de gagné pour eux.
Nous sommes prêts à ouvrir dès que l’annonce sera faite.
La peur d’une saison blanche pour les stations de ski
De leur côté, les entreprises liées à l’activité des stations de ski, regroupées dans le Cluster Montagne et l’AFMONT, lancent un cri de SOS, dans la crainte d’une saison blanche. Au total, ce sont 450 entreprises concernées, représentant 5 500 emplois et 1 milliard d’€ de chiffre d’affaires.

« La fermeture administrative renouvelée des remontées mécaniques a d’ores et déjà des conséquences économiques dévastatrices pour nos entreprises et nos stations de montagne. Des milliers d’emplois sont ainsi en jeu, des emplois reconnus pour leurs savoir-faire qui s’exportent sur l’ensemble des montagnes du monde » explique Patrick GRAND’EURY, Président du Cluster Montagne.
Les pertes de chiffre d’affaires des fournisseurs, industriels, partenaires et experts français des domaines skiables approchent les 35 % en 2020. En l’absence d’activité des remontées mécaniques, la situation va considérablement s’aggraver en 2021 et il faudra attendre la fin de la saison d’hiver 2021-2022 pour une éventuelle reprise des projets d’investissements.
En parallèle, les entreprises de l’aménagement de la montagne appellent à travailler sur un grand plan de relance de la montagne française, un plan ambitieux susceptible de sauver les entreprises et les emplois du secteur.