Snowboarder français avec un incroyable palmarès, Paul Henri De Le Rue nous parle de sa reconversion professionnelle avec recul et introspection. Aujourd’hui conférencier, et toujours passionné de snowboard, il partage avec beaucoup de générosité son expérience dans les entreprises en démontrant à chacun qu’il est possible d’aller au bout de ses rêves.

 

Pouvez-vous nous dire qui vous êtes, et nous présenter votre parcours sportif et professionnel ?

Paul-Henri De Le Rue : J’ai grandi dans la station de Saint-Lary dans les Hautes-Pyrénées. Je suis le quatrième d’une fratrie de cinq. Il faut savoir que dans ma famille, nous avons tous été champions du monde ou médaillée olympique, à part François l’aîné qui a quand même été dans le Top 20 mondial mais qui a fait de grandes écoles.

Sportivement, j’ai fait une quinzaine d’années en équipe de France, j’ai participé à 3 Jeux Olympiques, j’ai terminé troisième à Turin en 2006, 25ème à Vancouver en 2010, et 4ème à Sotchi en 2014 malgré un accident qui me plonge dans le coma seulement un mois avant.

Entre temps, en 2010, j’ai eu la chance de rentrer chez SNCF, en tant que chargé de communication. Cela m’a permis de découvrir un métier et comment fonctionnaient les grandes entreprises. J’y ai passé 5 ans et j’y ai découvert le métier de conférencier. La SNCF m’a demandé de faire des interventions sur mon parcours, sur la gestion des émotions car ils considéraient que j’avais des choses à leur apporter à ce niveau là.

Personnellement, j’ai eu 2 enfants en tant qu’athlète de haut-niveau. A la fin du mois de novembre 2012, ma fille Éléonore est née. Ma femme a accouché et j’ai du partir en Coupe du Monde seulement 4 jours après. J’étais très absent les premières années de la vie de ma fille, et pareil en juillet 2014, lorsque mon fils Ferdinand est né.

Il faut savoir que pour les jeux olympiques de Sotchi, j’ai laissé beaucoup d’énergie, une énergie incroyable pour revenir au meilleur niveau en un mois. Il a aussi fallu que je rénove notre maison pour l’arrivée de notre fils en juillet.

J’ai passé toute l’année 2015 en Coupe du Monde et je ne trouvais plus du tout de sens à ce que je faisais. J’avais l’impression de tourner en rond, de ne plus être à ma place, que ma place était avec les miens. Et surtout j’avais commencé à développer des conférences et des journées freeride dans les Pyrénées et ces projets me plaisaient beaucoup. J’avais envie de mettre de l’énergie là dedans.

C’est pour cela qu’à la fin de l’année 2015, je me suis rendu compte qu’il fallait que j’arrête ma carrière sportive et que je me reconvertisse.

Championnats de France 2011

Comment s’est passée votre reconversion professionnelle ?

Paul-Henri De Le Rue : Quand on est sportif de haut niveau, toutes les portes vous sont ouvertes, vous avez un statut un peu spécial surtout en fin de carrière. J’avais un statut d’expert, j’étais reconnu. Mais ce que je ne savais pas, c’était qu’à partir du moment où la carrière sportive s’arrête, ton statut change et tu n’es plus du tout perçu de la même manière par les autres. Tu repars à zéro. La première des questions est : « où est-ce que je veux aller précisément ? »

Moi, je savais que je voulais devenir conférencier et développer des journées freeride, sauf que je ne me rendais pas compte que les journée freeride dans les Pyrénées ne sont pas nombreuses, une vingtaine par saison tout au plus.

Je me suis rapidement rendu compte que cela n’était pas suffisant pour en vivre. Pareil, j’ai compris que de faire des conférences en entreprise, c’est intéressant mais je n’avais pas tous les codes de l’entreprise. J’avais beau avoir travaillé 5 ans à la SNCF et m’être cherché des sponsors depuis l’âge de 12 ans, je ne connaissais pas le quotidien de ces gens-là.

Du coup, quand j’ai arrêté ma carrière, j’ai travaillé 6 mois à temps plein à la SNCF. J’ai essayé plein de choses : j’ai été moniteur de ski, j’ai fait un peu de préparation mentale pour le ski club de chez moi, j’ai accompagné le snow-études du lycée de Lannemezan pendant 2/3 ans. J’ai même participé au Freeride World Tour où j’ai terminé 6ème.

En janvier 2017, Jean-Philippe Demael, l’ancien patron de Somfy, me propose de créer une structure avec lui pour accompagner les athlètes dans leur reconversion professionnelle. Le fait de développer cette boîte avec lui, entre 2017 à 2019, m’a permis de travailler aux côtés d’un expert, je sais maintenant ce que c’est que de créer une startup, et d’en connaître les contraintes. Aujourd’hui dans mes conférences, je suis beaucoup plus pertinent, j’ai beaucoup plus de recul et je sais de quoi je parle. Je peux parler de la carrière d’un sportif mais aussi des difficultés que peuvent rencontrer les entrepreneurs, les dirigeants d’entreprises, et les collaborateurs de très grandes entreprises !

Cette année, j’ai arrêté avec 2Mixe car mes conférences cartonnent, je viens de sortir un bouquin (« Aller au bout de ses rêves, de l’émotion à la performance »).

 

Vous venez d’écrire un livre « Aller au bout de ses rêves, de l’émotion à la performance ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Paul-Henri De Le Rue : La problématique de ce livre, dans ce monde qui change si souvent, est de comprendre comment passer de l’émotion à la performance de manière durable. En gros, comment trouver son équilibre dans le changement.

C’est un livre en deux parties : la première partie raconte mon histoire et la deuxième évoque les outils qui m’ont aidé à me réaliser en tant que sportif, entrepreneur et père de famille. C’est un livre qui aide les personnes dans le changement, qui apprend comment gérer ses doutes, ses pensées parasites, comment fonctionne la motivation…

Aujourd’hui, je fais une conférence par semaine aux 4 coins de la France et même d’Europe, en français, en anglais ou en espagnol. Je m’éclate. Ce qui me plait le plus, ce n’est pas de raconter mon histoire, c’est de faire bouger les lignes c’est d’inspirer les gens et les accompagner pour qu’il trouvent eux-mêmes les solutions pour trouver leur équilibre.

Ma vie est faite de partages, d’aventures, et en même temps, j’ai du temps à passer avec mes enfants. Je suis super aligné, et super content.

Comment vous imaginez-vous dans quelques années ?

Paul-Henri De Le Rue : Là où j’ai le plus de plus-value, c’est dans les conférences, mais je propose aussi des séjours à travers le monde, au Canada, en Italie, en héliski, en freeride… et j’adore ça. C’est moins rémunérateur mais c’est hyper excitant et ça fait partie de mon ADN. Je trouve génial de pouvoir continuer à faire ça.

Les conférences que je fais sont des conférences débat. Dans la partie « débat », j’utilise des outils et je challenge les gens en fonction de leur situation, leur contexte. Il m’arrive aussi d’organiser des team buildings où j’organise des activités sportives et des outils de coaching pour amener les participants à mieux se comprendre, mieux comprendre les autres et à développer leur efficacité collective.

Ma mission professionnelle est de développer l’humain et la performance. J’ai très souvent remarqué que la performance peut aller au détriment de l’humain. Dans les croyances de certains dirigeants, trop d’humain ne permet pas d’être performant. En fait je cherche à développer l’empathie, l’écoute dans les organisations et faire en sorte qu’un maximum de collaborateurs se sentent alignés, respectés dans leurs besoins pour développer leur motivation. Quelqu’un d’aligné, qui se sent respecté, est forcément plus performant sur la durée que quelqu’un qui a l’impression qu’il est juste là pour être pressé comme un citron.

J’aime amener du dialogue, de la co-construction. J’ai l’impression que ce que je fais plait aux gens, et je me régale !

Je pars de mon histoire pour aller vers les gens et les amener à se découvrir et être plus performants individuellement et collectivement.

Dans le cadre de la reconversion professionnelle des sportifs de haut niveau, quelles sont les valeurs qui selon vous, sont les plus utiles ?

Paul-Henri De Le Rue : Chaque sportif a ses valeurs propres, son identité. J’ai accompagné chez 2Mixte une cinquantaine de sportifs, et certains de très haut niveau (Christophe Lemaître, Marie Marchand…, Stéphane Tourreau…). Il n’y avait pas deux personnes pareilles.

Ce qui est bien avec un sportif qui a réussi sa carrière de haut niveau, c’est qu’il s’est prouvé à lui même qu’il est capable d’aller là où il veut aller, d’atteindre ses objectifs, de réaliser ses rêves.

Le gros sujet dans la reconversion sportive est de savoir si son nouveau rêve est clair. Un sportif de haut niveau connaît très bien le sport mais est ce qu’il connait suffisamment le monde de l’entreprise ?

Je pense que c’est important que le sportif essaie avant de dire «c’est là que je veux aller». Il faut essayer, ressentir et comprendre. Dans notre structure, nous invitions les sportifs lorsqu’ils étaient blessés ou qu’ils avaient du temps libre, à réaliser des stages en entreprise et de toucher du doigt ce que pourrait être leur reconversion professionnelle. Ce n’est pas pour leur faire peur ni les déstabiliser, ou les disperser mais plutôt pour qu’ils voient ce que pourrait être leur vie après le sport. Nous les aidions à travailler sur leur nouvelle identité professionnelle. Cela leur permet d’avoir un temps d’avance et d’être acteur du changement plutôt que de le subir.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes sportifs qui débutent leur carrière de haut niveau ?

Paul-Henri De Le Rue : Au jeune sportif de haut-niveau qui se lance aujourd’hui, j’aurai avant tout envie de lui poser la question : qu’est-ce qui va faire que tu ne vas pas baisser les bras à la première difficulté ? Pourquoi vas-tu aller jusqu’au bout des choses ?

Ensuite la deuxième chose que je leur dis mais qu’ils n’entendent pas toujours, (c’est normal, ils sont jeunes), c’est prendre conscience du temps. Pour un jeune de 18 ans, 5 ans c’est énorme ! Pour quelqu’un qui en a 40, c’est juste un moment et pour celui qui en a 70, c’est rien du tout ! Ils doivent prendre conscience du temps. J’essaie d’ouvrir les perspectives et de leur demander comment ils se verront à 40 ans.

C’est hyper difficile mais je les sensibilise sur leur mission de vie. Plus ils auront réfléchi sur leur mission de vie, et plus ils auront un fil rouge qui sera clair. Dans notre monde qui change, ce fil rouge sera le premier de leurs repères. Lorsqu’ils seront face à de nouvelles opportunités, ils pourront choisir avec davantage de conscience s’ils souhaitent ou non s’éloigner de leur fil rouge : cette opportunité est elle réellement une opportunité ou risque t’elle de m’éparpiller ?

Quand on a un fil rouge dans sa vie, cela nous amène beaucoup de stabilité, de sérénité, et d’apaisement. Ce n’est pas pour autant que cela nous interdit d’aller explorer l’inconnu, de sortir de notre zone de confort. Je pense que plus notre vision est claire, plus nous sommes performant sur la durée.

Dans mes accompagnements, je travaille principalement sur 4 clés :

  1. la conscience de soi et celle de son environnement. Tous les philosophes s’accordent à dire que la sagesse est le fruit de la conscience de soi. Alors, comment la développer ? Chaque fois que vous dépasser un objectif significatif, il fait se remettre en question : en quoi avez-vous été bon ? en quoi étiez-vous aligné ou non aligné ? Quels sont les axes d’amélioration ? A chaque étape significative, c’est essentiel de faire ce travail. Les personnes qui sont lucides sur leur environnement sont avant tout lucides sur elles-mêmes.
  2. Le deuxième point qui est particulièrement important pour moi est la définition précise des objectifs. Je me suis rendu compte qu’autour de moi, la plupart des échecs que j’ai pu constater sont des personnes qui ont mal défini leurs objectifs. Quel est votre objectif ? Pourquoi est-il si important pour vous ? Pourquoi n’allez-vous pas baisser les bras à la première difficulté ? En quoi cet objectif est-il si plein de sens ? Un objectif qui a du sens motive.
  3. Je sais d’où je viens, je sais où je suis, je sais où je vais. Mais comment faire pour être vraiment dans l’instant présent ? Par exemple si vous avez une pensée parasite : allez-vous y arriver ? Comment faire les choses du mieux que l’on peut ? Comment faire pour s’encrer dans le ici et maintenant.
  4. Lors de ma carrière sportive, en tant que médaillé olympique, je pensais que j’avais eu ce résultat parce que j’étais le meilleur. C’est à la toute fin de ma carrière que j’ai compris que si j’en étais arrivé là, c’était grâce à mon entourage qui avait su m’accompagner, m’épauler. Et sans toute cette bienveillance, cette empathie, je n’aurai jamais su aller aussi loin. L’une de mes croyances est que derrière chaque performance individuelle, l y a une performance collective. Comment faire pour développer toute cette approche collective derrière la performance individuelle ? De la même manière, comment faire pour développer cette performance individuelle dans une performance collective ? Par exemple, quelqu’un d’empathique à l’excès est quelqu’un qui va s’oublier et qui me va pas s’épanouir. Quelqu’un d’individualiste à l’excès, est quelqu’un qui au contraire ne va penser qu’à lui et qui va écraser les autres. Alors comment trouver le juste équilibre, pour progresser individuellement tout en faisant progresser le collectif ?