Gouvernance des stations : comment sont gérées les stations de montagne dans le monde ? Suivent-elles toutes le même modèle ? Pourquoi et comment changer de modèle dans les territoires de montagne ? Quelles sont les bonnes pratiques pour une meilleure responsabilisation économique sociale et environnementale ? Décryptage par Armelle Solelhac, PDG de SWiTCH.
Tour d’horizon des business models des stations de montagne dans le monde
Pris sous l’angle de la propriété, on dénombre trois grands modèles d’affaire des stations de montagne dans le monde. S’ils connaissent des variations à la marge d’une destination à l’autre, ceux-ci peuvent être classés de la manière suivante :
- 1- Le modèle « concentré», très pratiqué en Amérique du Nord, Norvège, Suède, Finlande, Nouvelle-Zélande, Argentine, au Japon et au Chili ;
- 2- Le modèle « éclaté», bien connu en Europe (sauf en Scandinavie) et en France en particulier, ainsi qu’en Australie ;
- 3- Le modèle « fédéré», qui connaît un essor important ces dix dernières années en Autriche, en Suisse et en Scandinavie.
Le modèle concentré repose sur une seule entité publique ou privée qui a en charge la politique de développement, le financement, ainsi que la gestion de l’ensemble des infrastructures et du foncier, qu’elle détient en pleine propriété, avec quelques rares commerces en concession. Les stations de montagne situées au sein de parcs nationaux font l’objet d’une réglementation particulière. Les autorités en charge des parcs participent activement à la gestion et au développement des sites touristiques.
On compte plusieurs modes de gestion différents au sein de ce business model liés essentiellement à la concentration des pouvoirs entre les mains d’une société privée, d’un groupe privé, d’un propriétaire particulier ou encore d’une association à but non lucratif ou d’une institution publique. La principale différence repose sur la recherche de profitabilité de la destination ou sur sa dimension sociale.
Ces quasi-monopoles nuisent au développement des initiatives locales et font peser les risques, ainsi que les lourds coûts financiers sur un seul donneur d’ordre. Cependant, ce fonctionnement autocratique facilite largement les prises de décisions et leur exécution rapide. En effet, les objectifs sont partagés à tous les niveaux d’exécution des décisions et la mise en œuvre d’une politique commune incontestable est donc beaucoup plus fluide et efficace.

Le modèle éclaté est dû à un « mille feuilles » d’entités publiques, semi-publiques ou privées, qui se partagent la propriété et l’organisation des différents secteurs d’activités. Si, à l’inverse du modèle concentré, les risques, les charges et les gains sont partagés entre les différentes parties prenantes, l’adoption d’une politique commune est très difficile – voire impossible selon les contextes ! – et la mise en œuvre de celle-ci est souvent complexe.

Le modèle fédéré permet une gestion concertée, participative et coordonnée des parties prenantes de la destination pour lutter contre la force centrifuge des systèmes d’acteurs ouverts. Il vise à définir une ligne de conduite et des buts communs. Il est le plus couramment déployé sous la forme de structures associatives ou semi-publiques. De nombreuses conditions doivent être réunies pour que cette organisation puisse fonctionner avec efficacité. Lorsqu’elles le sont :
- prises de décisions en concertation et leur exécution sont rapides et facilitées ;
- populations et spécificités locales bien prises en compte ;
- risques, charges et gains sont partagés entre les différentes parties prenantes.

La Gouvernance, le nouveau paradigme ?
Les difficultés rencontrées par les stations européennes à définir et mettre en œuvre une politique de développement partagée et la nécessité de coordonner les acteurs du territoire entre eux poussent à la mise en place d’une gouvernance dans les stations de montagne. Ce terme très en vogue dans les congrès et séminaires liés au tourisme en ce moment renvoie à des « formes intermédiaires de régulation, qui ne sont ni marchandes, ni étatiques, et qui articulent les intérêts privés et les intérêts publics, les aspects sociaux et les aspects économiques » (Benko, 1992). C’est donc « l’ensemble des arrangements et relations formels et informels à partir desquels sont prises et mises en œuvre des décisions » (Le Galès, 1995). La gouvernance est donc au service d’un projet de territoire et relève de la « guidance » publique, ainsi que de la coopération entre les acteurs, qu’ils soient publics ou privés.
Pour créer un tourisme d’intelligence territoriale, mettre en œuvre la stratégie et les plans d’actions définis par le collectif, au moins cinq enjeux sont à prendre en compte :
- Renforcer la transparence au sein du collectif ;
- Veiller à un équilibre des pouvoirs entre les différentes structures ;
- Améliorer la performance grâce à un processus décisionnel efficace ;
- Faciliter et inciter l’implication de tous ;
- Favoriser une cohérence à l’échelle des territoires impliqués.
Il n’existe pas de recette miracle pour faire fonctionner au quotidien une gouvernance des stations de montagne. Pour autant, une dizaine de facteurs clés de succès ont été identifiés au sein des gouvernances de destinations les plus efficientes ces dix dernières années :
- Le respect de 5 principes de base : ouverture, participation, responsabilité, efficacité & cohérence ;
- L’agilité, c’est-à-dire une capacité d’adaptation avec souplesse et rapidité ;
- La stratégie des petits pas pour conduire des grands projets : il faut les décomposer en plus petits projets ou actions et les mener l’un après l’autre en mode « sprint » ;
- Être le plus concret possible pour éviter le « décrochage » des participants ;
- Former l’ensemble de parties prenantes et leur fixer des objectifs ambitieux ;
- La participation financière de l’ensemble des parties prenantes pour garantir leur implication et financer les projets en autonomie ;
- Communiquer, communiquer et C.O.M.M.U.N.I.Q.U.E.R !
- Partager ses bonnes pratiques et ses retours d’expériences avec ses confrères/concurrents, car on ne peut élever le niveau que collectivement !
- Avoir un(e) directeur/rice de gouvernance qui n’est pas originaire de la station et qui ne vit pas sur place, mais dans un village en fond de vallée par exemple : le but est de préserver une certaine distance qui dépassionne les débats et de garder une attitude professionnelle. Celui-ci ou celle-ci doit être charismatique et avoir une vision claire de la stratégie ;
- Ne pas se tromper d’indicateur de succès : ce qui compte n’est pas d’augmenter le nombre de nuitées, mais d’augmenter la capacité d’investissement des parties prenantes dans leurs propres outils de travail (hôtels, restaurants, magasins, etc.). Le nombre de nuitées n’est qu’une conséquence et un élément d’explication.

Les exemples grandeur nature de destinations qui ont réussi à mettre en place leur gouvernance sont nombreux et polymorphes. On les trouve quelle que soit la taille de la destination, le cadre réglementaire ou les pays où ils sont localisés : Grächen (Suisse), Ischgl (Autriche), Trysil et Geilo (Norvège), etc. Le dénominateur commun derrière le succès de ces destinations est qu’il a fallu beaucoup de courage aux acteurs locaux pour se lancer, de nombreuses itérations et de la persévérance. Comme toujours « Rome ne s’est pas faite en un jour »…