Rencontre avec Dominique Létang, un homme de terrain et de valeurs qui déclare lui-même avoir eu deux vies. Actuellement directeur de l’ANENA (l’Association Nationale d’Etude de la Neige et des Avalanches), il a débuté sa carrière et passé de nombreuses années dans la Gendarmerie et le secours en montagne, tout en étant guide de haute-montagne.

 

I love Ski : Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Dominique Letang : J’ai 58 ans, je suis divorcé et père de 4 enfants, avec une compagne actuelle, qui elle, en a 5 ! Je suis né à Figeac dans le Lot, mais avec des origines pyrénéennes de par ma mère (Pyrénées Orientales). J’ai découvert la montagne à travers les livres. Ma mère était professeur de français, elle m’a fait découvrir des livres de montagne (Premier de Cordée, la Grande Crevasse…) et des livres de spéléologie comme ceux de Norbert Casteret.

 

I love Ski : Pouvez-vous nous raconter votre passion pour la montagne ?

Dominique Létang : J’étais très attiré par la montagne mais je ne pouvais pas y aller. Mes parents ont commencé à m’offrir des vacances à la montagne à partir de l’âge de 15-16 ans (Chamonix, Gavarnie). Ils m’ont même payé les services d’un guide pour que je fasse quelques courses.

J’ai parallèlement travaillé l’été dans des restaurants et des hôtels dans les Pyrénées pour me faire un peu d’argent. Je m’étais offert les services d’un guide pour faire des ascensions et cela a été la révélation.

J’ai appris que l’on pouvait faire le service militaire en Gendarmerie de Haute Montagne. Lors de la période des classes, j’ai naturellement postulé : c’était très simple avec juste quelques questions auxquelles il fallait répondre. J’ai eu 20/20 mais à la première permission, je suis parti grimper sur une falaise que j’avais équipée, et j’ai fait une très mauvaise chute. Je me suis fracturé le bassin. Je suis resté à l’hôpital militaire durant un mois à regarder le plafond. C’était dur car ensuite je n’ai pas pu avoir d’affectation en unité de secours en montagne. Je me suis retrouvé à Dax dans une gendarmerie « classique ».

 

I love Ski : Comment êtes-vous parvenu à concilier votre travail et votre passion pour la montagne ?

Dominique Létang : A cette époque, je voulais trouver un métier pour vivre et apprendre à connaitre la montagne. A la suite de mon service militaire, j’ai intégré pour 6 mois l’Ecole de Gendarmerie de Chaumont. J’étais très bien physiquement, mais le bilan de santé – d’un point de vue purement administratif – n’était pas compatible avec un test montagne. Un médecin de Dijon a compris ma passion, et grâce à lui, j’ai pu partir à Chamonix, pour essayer d’entrer dans la spécialité. J’étais grimpeur, mais un piètre skieur. Le dernier jour, lors d’une épreuve avec des peaux de phoques, je suis arrivé dans les tous premiers. J’ai donc obtenu une mention pour rejoindre une brigade de montagne. J’ai été affecté à Urdos dans la Vallée d’Aspe (Pyrénées) durant 5 ans. C’est vraiment là que j’ai tout découvert, je vivais en montagne.

J’ai tout de suite été intégré dans le groupe spéléologie de la Gendarmerie, et j’étais souvent détaché au Peleton de Gendarmerie de Haute Montagne (PGHM) d’Oloron Sainte Marie. Puis, pour les Jeux Olympiques d’Albertville, la Gendarmerie augmentait ses effectifs en vue des Jeux, et j’ai été affecté au PGHM de Modane, en Savoie où j’ai passé 8 ans de ma vie.

 

I love Ski : Vous êtes également guide de haute-montagne. Pouvez-vous nous raconter cette étape de votre vie ?

Dominique Létang : à l’âge de 28 ans, je me suis présenté au probatoire de l’aspirant guide que j’ai obtenu, et 3 ans après j’étais guide. J’ai fait 8 ans de secours en montagne et parallèlement mes stages. J’ai travaillé comme aspirant-guide avec des clients.

La connaissance de la relation avec le client m’a beaucoup servi. Quand on doit mener des enquêtes, on comprend mieux les choses. En parallèle, j’ai passé quelques diplômes internes pour pouvoir m’élever : j’ai été très jeune major, puis officier et de là, j’ai été affecté au PGHM de Grenoble, en tant que lieutenant, que j’ai commandé en second, durant 10 ans.

J’ai fait 23 ans de secours en montagne, sous terre, sur terre et dans les airs.Dominique Létang ANENAPhoto : Dominique Létang. Crédit photo JM Morlot

 

I love Ski : Que retiendriez-vous de ces années, au service des autres ?

Dominique Létang : Cela a été une très belle vie, une très belle carrière, un métier exigeant et très beau. Aller chercher des gens pour leur sauver leur vie. Il y a des secours sympas, d’autres tristes et dramatiques. Et cela use psychologiquement. Même encore, j’y pense assez souvent, je fais même encore des cauchemars.

Je vais vous dire quelque chose qui n’est pas écrit dans les livres, qui est très personnel et basé sur mon expérience. A 20 ans, on est vraiment frappé par la réalité d’un être qui est mort, son visage hante vos nuits. En revanche, on est tellement insouciant, que l’environnement familial de la victime, on n’y pense pas.

25 ans après, l’image ne fait plus rien, nous sommes blindés (pas blasés, ni insensibles). En revanche, au fil de toutes ses années, on a perdu un être cher, on a eu des enfants, et du coup, on se retrouve fragilisé. A la fin, le plus dur était d’aller annoncer une mauvaise nouvelle à une famille, qui venait de perdre l’un des leurs.

Et un beau jour, on m’a proposé le poste de directeur de l’ANENA (l’Association Nationale d’Etude de la Neige et des Avalanches). Intellectuellement, j’avais déjà pensé à quitter la gendarmerie car ma future affectation allait m’éloigner de mes enfants, qui étudiaient à Grenoble. J’ai donc démissionné de la Gendarmerie et pris la direction de l’Anena en 2009.

« J’ai vraiment eu 2 vies : celle du secours en montagne et celle de l’Anena ».

 

I love Ski : Quelles sont vos motivations ? Pourquoi vous levez-vous le matin ?

Dominique Létang : Pour la prévention. Le but de l’ANENA est de faire baisser le nombre d’accidents en montagne. Quand j’étais en gendarmerie de haute montagne, je faisais déjà beaucoup de prévention, à tel point que l’un de mes collègues m’avait dit : « la prévention tue le secours, si tu en fais trop, on n’aura plus de boulot » (j’espère que c’était une blague !). J’étais déjà très animé par rapport à la prévention. J’aime aussi animer ce groupe de l’Anena, partir sur de nouvelles pistes : c’est en quelque sorte se renouveler.

 

I Love Ski : Quel est votre plus bel accomplissement personnel ?

Dominique Létang : Mon plus bel accomplissement personnel a été l’obtention du titre de guide de haute montagne. Plus concrètement, la remise de cette médaille. C’était comme la concrétisation d’un rêve. Il faut être très bon techniquement, moralement, physiquement. Quand on vient du Lot comme moi, c’est une vraie fierté personnelle.

 

I Love Ski : Quel est votre plus bel accomplissement professionnel ?

Dominique Létang : Mon plus bel accomplissement professionnel a été de franchir un cap au bon moment. Je crois que ce n’est pas le fruit du hasard si on m’a proposé ce poste à l’Anena. C’était plutôt simple que de rester en Gendarmerie, j’aurais continué de prendre du galon, je serai encore en activité, mais cela n’avait plus de sens. Intellectuellement, je voulais voir autre chose et je ne regrette pas. J’apprends tous les jours, je découvre des choses. Je n’ai jamais autant voyagé partout dans le monde.

 

I Love Ski : Où vous voyez-vous dans les 5 prochaines années ?

Dominique Létang : Je crois que je saurai aussi m’arrêter quand il le faudra. Je vais encore me donner quelques années avant la retraite. J’ai envie d’une retraite paisible, retrouver le calme de mon département chéri, dont la nature est restée la même, authentique. Retourner à la nature, oui, mais avec un pied-à-terre en montagne, dans les Pyrénées ou dans les Alpes. Je me vois bien retourner aux sources avec ma compagne, qui elle aussi, est du même village que moi.