Diplômée de l’École nationale supérieure des arts et de l’industrie de Strasbourg, elle s’est spécialisée en urbanisme et gestion à l’École nationale des routes et des ponts. Michèle Ulrich a été directrice de la station des Rousses pour la première fois entre 1996 et 2000 et est revenue en 2012 pour reprendre SEM SoGeStaR.

I Love Ski: Pourquoi pensez-vous qu’il y a encore si peu de femmes à la tête des stations?

Michèle Ulrich: Ces fonctions sont principalement occupées par des ingénieurs. Cependant, nous ne sommes pas à parité dans ces secteurs. À mon époque, par exemple, j’étais la seule fille de ma classe. Je suis d’une génération où ces chaînes n’étaient même pas proposées aux filles. Lorsqu’ils sont doués dans les matières scientifiques, ils se voient proposer des cours de médecine. Je n’ai pas découvert cet environnement avant d’arriver à l’université. J’ai fait un gros effort pour m’intégrer dans une classe préparatoire. J’espère vraiment que les filles sont mieux informées aujourd’hui!

Un autre facteur limitant est la cooptation entre anciens élèves de la même école. On retrouve souvent des ingénieurs Arts et Métiers dans ces postes. C’est encore plus difficile de s’intégrer quand on est une fille qui vient d’un autre milieu. Enfin, j’ajouterai que nous ne pouvons pas répondre à cette question sans évoquer le caractère malheureusement encore macho du monde du ski et de la montagne. Il y a encore un long chemin à parcourir pour la reconnaissance et la parité des femmes.

Ce que je retiens de mon cursus dans les écoles d’ingénieurs et ce qui me sert le plus aujourd’hui, c’est surtout d’apprendre à fonctionner en mode projet. Ce type d’opération permet aux équipes d’être motivées à faire de leur mieux, d’avancer et de s’améliorer constamment au fur et à mesure qu’elles construisent ensemble.

Il y a certainement d’autres formations qui apprennent à se construire en équipe. Les personnes qui peuvent et savent gérer un projet d’équipe peuvent également gérer un domaine skiable. Le design s’apprend à l’école, mais aussi en ouvrant un code de l’urbanisme, des marchés publics ou de l’environnement, notamment en termes de lois, les choses changent vite. Il faut être curieux, ouvert, ne pas avoir peur d’ouvrir une législation pour vérifier la viabilité de ce que nous voulons réaliser: notre métier est de mener un projet et d’emmener l’équipe avec vous. Partager avec les autres, avec toute l’équipe, l’aboutissement d’un projet, voilà ce qui motive!

I Love Ski: Que peut-on faire pour changer cette situation?

Michèle Ulrich: Je pense qu’il y a un vrai problème de formation dans ce domaine. Il y a un manque de formation dédiée au tourisme de haut niveau, notamment en tant que gestionnaire de projets touristiques. Je ne suis pas convaincu que les diplômes universitaires soient très adaptés au monde du tourisme. Les écoles d’ingénieurs et de commerce proposent un cursus plus opérationnel mais plus sélectif, moins adapté au contexte touristique.

Il y a un manque de formation dédiée au tourisme de haut niveau, notamment en tant que gestionnaire de projets touristiques.

Mais surtout (est-ce par nature ou par éducation?) Je trouve que les femmes sont plus facilement en retard sur les hommes. Il est rare qu’ils avancent. En général, nous mettons toujours les hommes en tête. En première année d’école d’ingénieur, j’étais la meilleure de ma classe, étant la seule fille. Et j’ai vite compris mon erreur: les hommes ne l’apprécient pas! J’ai donc préféré me retirer volontairement du podium et j’ai passé le reste de mes études à la quatrième place, où j’ai finalement été choyé par mes pairs. Cette expérience m’a vraiment époustouflé et m’a préparé!

Professionnellement, à la station Les Rousses j’essaye de mélanger: les équipes masculines ou féminines ne sont pas équilibrées et c’est souvent une cause de conflit. Le mélange crée une atmosphère de paix. C’est aussi l’un de nos objectifs aux Rousses, où nous cherchons à avoir une bonne ambiance.

I Love Ski: Quelle valeur ajoutée une femme peut-elle apporter à une station de ski?

Michèle Ulrich: Il est difficile de généraliser. Je peux évoquer mon propre personnage: on dit de moi que je suis agressif, que quand j’ai un but je ne lâche pas prise. On dit que je suis fort, bien que j’exprime plus d’émotions qu’un homme. Être sensible, voire émotif, ne m’empêche pas d’être présent et de m’implanter en cas de coup violent.

En général, je pense que les femmes ont une plus grande capacité à écouter et à savoir être présentes. Il me semble qu’ils attachent plus d’importance à la bienveillance et sont plus sensibles au bien-être des salariés.

Enfin, il me semble que l’on accorde moins d’importance à la hiérarchie, à l’organisation traditionnelle d’une entreprise, afin de travailler plus facilement à tous les niveaux, peut-être parce qu’ils sont moins compétitifs que les hommes.

 


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