I Love Ski : Anne Marty, pourquoi, selon vous, y a t’il encore si peu de femmes à la tête des stations ?
Anne Marty : Avec mon expérience de Directrice des Ressources Humaines, je dirai que l’une des principales raisons est que les femmes ne postulent pas. A titre d’exemple, sur les 120 candidatures que nous avons reçues pour le poste de directeur de la station de Font Romeu Pyrénées 2000, une station qui génère environ 12 millions de CA, il y avait une seule femme.
Aujourd’hui on voit trop encore le poste de directeur comme un poste technique. Or, un bon directeur est celui qui va aller chercher des clients et qui est capable de bien s’entourer.
Les stations de ski sont gérées soit en régie, soit via des délégations de service public. Et nos élus locaux sont, sont majoritairement des hommes. Je constate une certaine cooptation dans ce secteur. Un homme a tendance à aller chercher quelqu’un dans ses proches pour occuper un poste de dirigeant. Les directeurs de stations sont très majoritairement des hommes, et la moyenne d’âge des directeurs de stations est plutôt élevée, c’est significatif. Or, 30 ans en arrière, on recrutait des profils techniques, et si on regarde les écoles d’ingénieurs, il y a peu de femmes. Mécaniquement, on retrouve ce phénomène dans les stations de ski.
Aujourd’hui, votre chance de recruter une femme à ce poste là est très faible.
Lorsque l’on regarde les organigrammes des stations, il y a aussi très peu de femmes dans les niveaux intermédiaires des entreprises, et cela est d’autant plus vrai dans l’exploitation. Au niveau du groupe Altiservice, la proportion de femmes est de l’ordre de 80-90% de femmes dans le fonctionnel. Elle est de seulement 25% au niveau de l’exploitation. Sur les 450 personnes de l’entreprise en saison, et sur les 2 postes de chefs de secteur qui s’ouvrent, je n’ai pas de femmes qui ont postulé à ce jour.
Dernier constat chiffré : sur les 26 ou 27 membres du Comité Directeur de Domaines Skiables de France, il y a seulement 2 femmes, et c’est en progrès, il n’y en avait qu’une l’année dernière !
I Love Ski : Que peut-on faire pour changer cela ?
Anne Marty : Face à ce constat, j’ai essayé de faire faire bouger les lignes à mon niveau. Nous avons choisi de donner des compétences techniques à des femmes, grâce à des contrats en alternance. Nous avons 2 femmes saisonnières de 39 et 45 ans sur Font Romeu Pyrénées 2000 et 2 autres sur Saint-Lary (35 et 29 ans) qui sont en formation sur un Bac Pro ou un BTS et qui partagent leur temps de travail entre 15 jours à Toulouse et 15 jours en station. L’objectif est qu’elles puissent occuper des postes qualifiés en maintenance. Si nous ne faisons pas ce travail, nous n’arrivons pas à recruter des femmes. Nous faisons le choix d’intégrer des femmes sur des métiers techniques, car notre rôle d’acteur engagé est avant tout de donner de l’employabilité à nos salarié(e)s et donc de l’emploi sur le territoire.

J’ai présenté ce projet lors de la réunion de la section Pyrénées, afin de créer une synergie et de le rendre accessible aux autres stations du territoire si un intérêt se manifestait. Sur nos métiers, c’est important de le faire et de le faire savoir. L’alternance est une solution car on touche des personnes qui ont déjà un emploi de saisonnier chez nous. On reconnait le parcours déjà réalisé, on les fidélise et ils ne se déconnectent pas du monde du travail en intégrant la formation.
Selon vous, qu’apportent les femmes au niveau des domaines skiables ?
Anne Marty : Je suis actuellement la seule femme de mon CoDir. Quelque soit le manager, il a besoin d’être confronté à une vision différente et avoir un effet miroir.
Quand je suis arrivée au sein d’Altiservice, les tenues des femmes et des hommes étaient les mêmes. C’était très inconfortable pour les femmes, pour autant, il n’y avait pas de volonté de mes collègues hommes de ne pas faire, simplement, ils n’y pensaient simplement pas. Mais l’achat de tenues différenciées a été un vrai plus en qualité de Vie au Travail pour nos salariées.
Nos directeurs sont des experts dans leur domaine d’activité, mais quand on travaille sur le réaménagement d’une gare de remontées mécaniques, il est important d’avoir un regard cliente. Je suis parfois celui-là, à proposer par exemple la mise en place d’un vestiaire pour plus de confort : un regard de maman qui a changé ses enfants derrière la voiture !
La vision client est différente entre un homme et une femme, et cette complémentarité est fondamentale.

De la même manière en ce qui concerne les méthodes de management. L’approche des femmes est différente. C’est un sujet très important car la fidélisation du personnel est importante. Le recrutement coûte cher, et la mixité est un équilibre. L’entreprise est juste un microcosme de la société, et nous nous devons d’essayer d’atteindre la parité.
Mais cela ne sous-entend pas que je fais de la discrimination positive. Je ne prendrai pas une femme parce que c’est une femme, je privilégie toujours la compétence.
Le groupe Altiservice s’est engagé à une augmentation de 1% par an du nombre de femmes. Je suis très optimiste par rapport à ça car nous progressons dans ce sens là, nous sommes passé de 25% en 2014 à 31% en 2019. Cela doit devenir une préoccupation majeure car la Génération Z qui entre dans le monde du travail, va être difficile à fidéliser, les sujets d’équité, les sujets environnementaux et de Responsabilité Sociétale de l’entreprise seront un levier d’attractivité et de fidélisation.
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