I Love Ski – Jean Marc Silva, pourriez-nous nous expliquer qui vous êtes, et nous présenter votre parcours professionnel ?
Jean-Marc Silva – Je suis né le 10 décembre 1960 à Grenoble, un beau territoire entouré de montagnes. Quand on est grenoblois on est forcément inspiré par la montagne car au bout de chaque rue il y a un massif qui vous tend les bras.
J’ai eu très vite la volonté d’aller travailler là haut. J’ai commencé à pratiquer la montagne l’hiver en tant qu’initiateur de ski de fond parce que mes parents n’avaient pas les moyens de m’initier au ski de piste. Issu d’une famille simple, c’était une manière d’accéder à la montagne, puis l’escalade et l’alpinisme l’été.
J’ai commencé à travailler assez tôt, à 19 ans chez Pomagalski, j’ai eu un bac de fabrication mécanique et surtout j’étais soutien de famille. Malheureusement je ne pouvais pas faire d’autres études. Mon père était handicapé, ma mère était atteinte d’un cancer et il fallait que je travaille vite pour gagner de l’argent et soutenir ma famille. Quand on n’a pas le choix, on y va !
J’ai très vite compris qu’avec un baccalauréat on ne peut pas aller très loin alors j’ai continué mes études en cours du soir, j’ai obtenu un BTS fabrication mécanique (sur 46 candidats, nous avons été 4 lauréats) mais c’est souvent compliqué de suivre les cours du soir. Alors pour tous ceux qui peuvent faire leurs études normalement, allez-y !
Après j’ai attaqué une école d’ingénieurs en cours du soir, j’ai fait une année et j’ai arrêté. J’étais déjà père de famille et il y avait d’autres moyens pour s’en sortir.
J’ai travaillé 8 ans dans l’industrie et j’ai eu enfin l’opportunité de travailler sur la station des 7 Laux en tant que Directeur commercial des remontées mécaniques : c’était la chance de ma vie de pouvoir monter là haut. Ils cherchaient quelqu’un issu de l’industrie et c’était l’époque où le tourisme n’était pas crédible et pas reconnu alors que le modèle industriel, lui était reconnu. Je suis rentré par cette porte et un an après il s’est trouvé que le Directeur est parti et le Maire me demandé de prendre la direction générale de l’exploitation, des pistes et des remontées mécaniques (avec 170 personnes) de la station à 29 ans. C’était une belle aventure malgré le fait que nous ayons vécu les années sans neige (89-90-91). En même temps, cela a été un moment fondateur pour la montagne française, car nous tous collectivement avons créé PAM (les Professionnels Associés de la Montagne qui avaient fait la fameuse campagne : « La montagne, ça vous gagne » pendant 17 ans à la TV).
Quelques temps après, je me suis rendu compte qu’il me manquait quelque chose : la connaissance du tourisme. J’ai voulu aller travailler pour apprendre le tourisme. Je suis donc parti à Saint Malo dans une compagnie maritime (qui faisait du transmanche et les îles anglo-normandes) en tant que Directeur commercial de la structure et du TO dédié et Directeur Général d’une agence de voyages: Selectour Morvan Voyages. Pendant ces 2 ans, j’ai appris ces métiers du tourisme jusqu’à ce que je craque ! 5 mois de ciel gris l’hiver, c’est compliqué (rires) et j’ai répondu à une annonce pour la création de l’office de tourisme des Arcs et de Bourg Saint Maurice. La station existait en tant que station intégrée mais ne disposait pas encore d’office de tourisme. La municipalité souhaitait fusionner le haut et le bas et ne plus faire qu’un seul office de tourisme. J’y ai travaillé pendant 10 ans, de 1993 à 2002 en tant que Directeur, et j’ai notamment créé la centrale de réservation des Arcs sous forme d’agence de voyages qui est encore aujourd’hui sous le même modèle économique qui s’autofinance et qui est rentable. J’ai eu un vrai plaisir et un honneur de piloter cette station. J’ai eu la chance d’accueillir une Coupe du Monde de ski Alpin (2001) aux Arcs et le Tour de France (arrivée d’étape en 1996), des championnats du Monde de canoë Kayak en 2002 à Bourg saint Maurice, les championnats du monde de KL sur les Arcs et ses records de vitesses toutes catégories, et les premiers grands snowparks que nous avions créés à l’époque sous forme d’évènements avec Quiksilver (la QuikCup) et des modules de saut XXL : nous ne savions pas que nous étions en train de créer une discipline qui allait devenir olympique.
I Love Ski : Vous avez participé à la création de la station Arc 1950. Pouvez-vous nous raconter cette aventure ?
Jean-Marc Silva: Une belle aventure avec les Arcs jusqu’à ce que l’on ait vu arriver un projet avec un promoteur canadien (le groupe Intrawest) qui avait dans sa valise le projet de créer la station de ski idéale en Europe. Les gens de ma génération n’ont pas eu la chance d’être les pionniers des stations : c’est la génération de nos parents. Et je me suis dis : « Jean-Marc, c’est ta seule chance d’être à l’origine d’une station », alors j’ai pris le train en marche et j’ai travaillé avec Intrawest en 2002 pour la création de Arcs 1950 jusqu’à la livraison. Nous sommes partis de la page blanche, nous avons créé 4000 lits touristiques, 750 appartements, 40 commerces sur un concept totalement novateur issu d’Amérique du Nord : j’ai eu l’impression de travailler en Amérique du Nord pendant 7 ans ! Un vrai savoir-faire canadien où le client est au centre de tous les projets. Ce sont d’ailleurs les premiers en l’an 2000, qui parlaient d’expérience unique avec l’accent canadien : aujourd’hui on en parle tous les jours ! En France nous avions plutôt l’habitude de créer une station le mieux possible et ensuite aller chercher les clients. Les canadiens ne travaillent pas comme ça, ils écoutent le client et en fonction de leurs besoins, ils créent une station. Aujourd’hui Arc 1950 est l’un des meilleurs modèles économiques français avec une gestion assurée par Pierre et Vacances Premium, avec l’un des meilleurs taux de remplissage qui existe en France hiver comme été.
A l’issue de cette aventure, la montagne française qui avait plusieurs organismes chargés de la promotion, la communication, des relations presse, a eu la bonne idée de se réunir, de fédérer tous ces services et ne parler plus que d’une seule voix. En tant qu’acteur de cette montagne, j’ai souffert de ce manque de cohésion. C’était vraiment un beau projet sur lequel je souhaitais participer. J’ai candidaté et j’ai eu l’honneur et le privilège d’être le premier directeur de cette structure qui venait de naître.
Je crois que je suis attiré par les créations : l’office de tourisme, la centrale de réservation, la station de Arcs 1950 avec Intrawest, la structure France Montagnes. A l’époque, cette structure n’était qu’une image, un vœu pieux d’acteurs qui souhaitaient travailler ensemble sous l’impulsion de ses 3 membres fondateurs (l’Association des maires de stations de montagnes, Domaines Skiables de France et le Syndicat National des Moniteurs de ski Français). Aujourd’hui c’est une réalité et une véritable satisfaction personnelle. Nous avons fait d’un projet une réalité.
Aujourd’hui France Montagnes représente l’ensemble des acteurs de la montagne française, mutualise 3,5 M € de budget par an pour promouvoir la montagne et assurer les relations presse de la montagne, la promotion et la communication en France et sur les marchés en France et à l’étranger toutes saisons.

Photo : Jean-Marc Silva. Crédit : Scalp
I Love Ski – Quelles sont vos passions ? Que faites-vous de votre temps libre ?
Jean-Marc Silva – A côté de ce parcours professionnel, j’ai aussi eu d’autres vies (rires). La montagne a été omniprésente dans ma vie, j’ai épousé Catherine Ogier dont les parents avaient créé une petite station de ski, le Col de Coq en Chartreuse à 3 associés, une station 100% privée : ils coupaient les sapins pour faire les pistes, ils coulaient les bétons pour les remontées mécaniques, ils ont restauré une bergerie pour faire un restaurant, pour monter une école de ski, une location de matériel. J’ai toujours été en admiration de ces gens-là. Tout cela m’a inspiré.
Nous avons aujourd’hui 2 enfants qui évoluent dans la montagne après avoir fait 11 ans au sein du ski club des Arcs. L’un est directeur de l’office de tourisme de La Rosière, et l’autre est architecte de montagne et installé dans le nord de l’Isère. La montagne nous inspire en permanence, nous avons d’ailleurs un petit chalet d’alpage en haute Tarentaise pour se retrouver, pour s’inspirer dans cette montagne authentique : c’est la meilleure idée de transmission familiale que j’ai pu avoir. C’est un lieu de retrouvailles, très authentique et sauvage, sommaire et rustique mais tellement aimé par les gens qui y vont. C’est un lieu où l’on accède en raquettes ou en ski de randonnée l’hiver, l’été on est au bord d’une rivière au pied des forêts, on retrouve la vie d’antan. Et en plus le téléphone portable ne passe pas ! (rires). Je vois que les jeunes de la famille que l’on amène là haut, et qui grandissent veulent y revenir. Cela devient important pour eux, c’est un lieu de retrouvailles. Quand je peux, je l’ouvre à des voyages de presse pour accueillir des amis journalistes et montrer des facettes qui nous touchent.
Et puis j’ai d’autres vies associatives en parallèle : je suis moniteur national de plongée sous-marine (MF1), nous avons un club à Bourg Saint Maurice avec 70 membres qui viennent apprendre à plonger. Cela fait du bien de sortir du monde professionnel « Business » pour aller vers un monde associatif, et enseigner bénévolement. C’est une satisfaction de pouvoir transmettre une autre passion. Mais en même temps, je reste en contact avec la nature, sous toutes ses formes. Du coup, j’ai l’impression que ma planète est un peu une montagne qui tombe dans l’eau, que ce soit en haut ou en bas, dessus ou dessous.
Je suis aussi Président d’une association sportive de karaté sur Bourg Saint Maurice car je le pratique depuis l’âge de 20 ans. Je pense que si je n’avais pas pratiqué cet art martial, le karaté, je n’aurais pas pu faire ce parcours. Parce que cela m’a appris la maîtrise mentale et physique, la gestion du stress, comment savoir affronter les obstacles.

Photo : Jean-Marc Silva pratiquant le télémark.
I Love Ski – Quelles sont aujourd’hui vos motivations ? Pourquoi vous vous levez le matin ?
Jean-Marc Silva – Je pense que toute ma vie, j’étais dans le recrutement, pour aller chercher des gens et leur faire partager nos passions, nos territoires (la montagne, la plongée, le karaté, …). Ma prochaine inspiration sera plus de transmettre que d’aller chercher.
J’ai plusieurs fois fait le tour du monde, et j’aurais envie (je ne sais pas encore sous quelle forme) de m’investir sur un site, un lieu, un « refuge » et d’accueillir et transmettre cette passion. Plutôt que d’aller chercher les gens, c’est les recevoir et leur transmettre modestement la montagne. La montagne est porteuse de valeurs et il faut faire attention car on peut vite passer à côté de ces valeurs. La montagne est source d’inspiration mais il faut des passeurs, des gens qui éclairent nos visiteurs, pour qu’ils se rendent compte de la chance qu’ils ont d’être en montagne. La haute montagne est un milieu hostile (à l’époque, on la fuyait) et aujourd’hui il faut se battre pour la valoriser, la préserver, faire attention à ce que l’on fait pour les générations futures.
Je n’ai jamais « travaillé », j’ai vécu de ma passion, sinon cela n’aurait pas été possible.
Je vis pour la montagne. Je souhaite que tous les gens puissent travailler de leur passion sinon je pense que cela doit être trop dur de travailler (rires).
J’ai senti cet appel de la montagne très jeune, je n’avais personne dans ma famille très proche qui connaissait la montagne mais j’y suis allé envers et contre tout. Il faut s’écouter, écouter son inspiration, j’ai trouvé mon Eden là haut. Le hasard a fait que j’ai rencontré un jour Gaston Rébuffat grand alpiniste et guide de haute montagne de Marseille qui était un mythe pour moi. Je l’ai rencontré à 19 ans, à l’occasion d’une séance de cinéma et il m’a encouragé à aller là haut. J’ai pris ma moto, je suis monté en Chartreuse et je me suis arrêté dans un champ duquel je voyais la ville et la montagne. Il faisait nuit, j’ai regardé les deux, et j’ai pris la décision d’aller là haut.
Il faut trouver sa voix pour être inspiré et ensuite être inspirant. On ne peut pas être uniquement consommateur dans sa vie, à un moment donné il faut le rendre. J’essaie de le faire dans la plongée : des gens m’ont appris la plongée et aujourd’hui je rends ce que l’on m’a donné.
Dans ma famille, je n’avais pas les moyens de faire du ski alpin, des membres de ma famille m’ont invité à aller faire du ski alpin. Une tante avait un chalet sur le Col de l’Arselier et cela m’a déclenché des choses. Une autre tante m’a invité à aller marcher l’été en montagne dans le Queyras. Avant je ne savais pas ce que c’était. D’un coup, de nouveaux univers se sont ouverts et c’est très important. On ne se rend pas assez compte de l’influence que l’on peut avoir auprès des adolescents et des jeunes adultes où on a toujours l’impression qu’ils sont dans leur monde, alors qu’ils sont en recherche d’inspiration.
I Love Ski – Lorsque vous regardez en arrière, quel est votre plus bel accomplissement ?
Jean-Marc Silva – Personnellement, ma famille : nous sommes une famille unie, et j’ai le plaisir d’être grand-père 4 fois. Je pense que d’avoir élevé nos enfants en montagne en a fait des gens sains, solides, créatifs, et qui ont envie. Ils n’ont pas eu de problème d’adolescence, ils étaient plus tournés vers le sport et la montagne. Aujourd’hui ils ont chacun 2 enfants, et c’est un bonheur de les voir. Et en même temps, c’est une responsabilité. J’ai envie que nos petits-enfants vivent ce que nous avons vécu, alors soyons responsables de nos actes et du futur.
Professionnellement, je suis assez bluffé de ce que nous avons pu faire sur Arc 1950 : partir de rien et avoir tout inventé et voir qu’aujourd’hui que ce village existe, qu’il s’intègre parfaitement au paysage, et qu’il est même devenu un modèle économique. On nous disait « cela ne marchera jamais » : Lorsque l’on a des convictions, il faut les assumer. Comme mon beau-père lorsqu’il a ouvert le Col du Coq en 1968 !
J’espère aussi que nos enfants arriveront à créer car je trouve que c’est très motivant, énergisant d’ouvrir des voies, c’est le propre des montagnards que d’ouvrir des voies et quand on peut le faire, c’est une rentable satisfaction.
I Love Ski – Où vous voyez-vous dans 5 ans ?
Jean-Marc Silva – Il paraît qu’il faut toujours aller plus loin, plus haut !
Pour aller plus haut, il va falloir que je termine gardien de refuge (rires). Je n’irai pas travailler en ville, cela ne m’intéresse pas, je veux continuer à être sur ce territoire qui me passionne et je serai plus en recherche de qualité de vie.
J’ai encore 5 ans de travail avant la « retraite ». Je souhaiterais ensuite pouvoir me consacrer à un endroit et pouvoir inspirer les autres et continuer cette chaîne. Si je peux très humblement et modestement être le Gaston Rébuffat de certains jeunes, et leur dire ce que l’on a vécu.
C’est un vrai bonheur (avec un grand B) que de voir que des jeunes qui ont choisi des métiers de la montagne parce qu’ils nous ont vus.
Sans le vouloir, nous les avons inspirés. Vivre à la montagne, oui c’est plus compliqué, c’est plus dur, c’est plus loin, cela demande plus d’efforts mais c’est aussi une récompense. Il faut croire en ses rêves et faire de ses rêves une réalité.
J’ai toujours eu une phrase qui m’a suivi toute ma vie et qui m’accompagne encore : « là où il y a une volonté, il y a un chemin » : quand vous êtes dans une voie en montagne, vous devez trouver le chemin, et la sortie se fait toujours par le haut.